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ANNÉE 1896


Brest, 25 février 1896.



Je ne veux pas moins souffrir, je n’ai aucune raison d’être moins malheureuse. Je ne veux me sentir apaisée que par des succès. Je ne veux pas m’habituer à la tristesse comme si j’étais née pour cela.

Je me résignerai le jour où j’aurai compris. Je me résignerai sans récriminations, sans regrets, sans mélancolie. Avant cela pas de repos. Je n’accepterai jamais un mal sous prétexte que je ne peux pas l’empêcher. J’aime mieux continuer à remuer exprès tout le noir de la terre.

Ce n’est pas au malheur qu’il faut se résigner afin de ne plus souffrir, il ne faut pas s’anesthésier. Ne pas souffrir comme on dort mais comme on marche et comme on mange.


Jeudi 4 juin.

J’ai eu vingt et un ans avant-hier et, bien que je n’y aie pas beaucoup d’entrain, je tiens à écrire cette date sur mon cahier et à faire un peu le bilan de ma situation présente.

Le comte de Maistre prétend qu’on n’a pas le droit de réclamer quand, en examinant ce qui vous reste, on peut répondre : Moi.

Mon âge m’étonne toujours, et quand je me persuade bien que j’ai vingt et un ans, l’impression est : Dieu merci, je n’en suis que là !

C’est que j’ai passé par de tels tourbillons que je ne sais plus au juste ce qu’il y a derrière. Oui, j’ai passé à travers un blank.