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ANNÉE 1898

ANNÉE 1898 155

27 novembre.

Je veux passionnément guérir. Et pourtant le jour où je me retrouverais comme les autres, serais-je sûre de me retrouver entière ? « La souffrance est une compagne » et quand elle n’est pas intolérable, quand elle n’écrase pas l’âme en même temps que le corps, quand on en doit vivre et non pas mourir, elle a son magnétisme, je crois qu’elle devient séduisante comme un vice. — Il y a dans notre nature une partialité violente pour la mélancolie, pour toutes les occasions de tristesse, et le bonheur tient toujours un peu du dépaysement. Comment nous désac- coutumerons-nous au ciel de la mélancolie ? l’enfer sera là pour nous la conserver.

4 décembre.

Comment comprendrai-je, si j’en sors un jour, ce mélange de scepticisme et de religion voulue ? Je prie et je n’espère pas. J’attends en vain et je ne suis pas déçue. Serait-ce l’indiffé- rence ?

Je commence à croire qu’il n’est pas si difficile qu’on le pense de se désintéresser de soi, et de voir venir le néant avec à peine un regret de l’être qu’on fut. La personnalité est un préjugé qu’on arrive à perdre, Nous n’existons que par effort, nous éprouvons tous la difficulté d’être, de Fontenelle.

Le bonheur et la perfection ? Ce n’est pas leur impossibilité mais leur insuffisance qui arrête… Qui n’a pas sérieusement peur du Paradis ?

S’il fallait seulement souhaiter notre félicité, comment nous y prendrions-nous ? Je ne pense même pas aux inconvénients de ce monde, je dis que nous ne savons pas imaginer le bonheur, que nous n’en avons pas l’idée…

Donc ce qui me devient maintenant insupportable ce ne sont pas les conséquences immédiates de mes infirmités, mais c’est