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188 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

Et tout cela à la longue, entre, s’installe dans le passé, je n’y trouve plus que ça. En avant, en arrière, je suis cernée.

Je suis pourchassée vers la solitude, j’y suis maintenue de force : tu ne bougeras pas de là ! And for ever shalt thou dwell in the spirit of this spell.

Je vis un an chaque jour.

Dans mes heures lentes ou inquiètes d’ennui, ce que je vois passer de choses ! Dieu, la vie, la mort et l’amour, ce que j’y aurai pourpensé !

La plupart des cerveaux n’ont pas vu passer ces choses-là dans leur existence aussi souvent que je les rencontre en un jour.

Encore ai-je tort de parler d’amour. C’est emportée par la série que je l’ai nommé, parce que je n’exclus rien de ma curio- sité et que je le crois nécessaire, pour avoir fait toutes les épreuves intéressantes de ce monde. C’est une chose qu’il faut ajouter à la vie, mais elle ne me suffirait pas du tout.

Samedi 23 septembre.

I] fait froid, il fait net et sonore, car la sonorité se voit et se respire aussi. J’adore cette saison, la lumière y tombe d’une manière plus intime. Il n’y a plus de midi, mais un matin qui va jusqu’au soir. L’automne de la mer n’est pas rouge, il est blanc. La lumière qui entre aux fenêtres est celle qui passe sur la neige, lumière froide et brillante qui arriverait toute aigui- sée des pôles.

Les promenades sur la plage à huit heures, c’est exquis, bleu, rayonnant, les côtes à belles arêtes vives et tout autour les nuages d’horizon, les nuages en rang de perles qui sont

’ éternellement des nuages de beau temps sur mer. Les menus de la Bellonet. J’aime cette promenade du matin sur l’énorme

1. Quand son grand-père l’amiral Dauriac commandait les côtes de l’Afri- que, un de ses aspirants ornait fréquemment ses menus de croquis remar- quables..