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204 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

toute la journée à me demander si je voudrais être toi. » Mais je ne suis pas moi, je ne peux pas être moil

Il n’ÿ a pas de souffrance plus fnhumaine que la surdité, Un aveugle ne peut vivre que par les autres, la matière disparaît, le contact s’établit d’âme à âme, ily a rapprochement. Mais dès que la parole disparaît, les êtres deviennent des choses. Lointains, détachés, d’un abord fatigant, ils ne peuvent rien pour notre bonheur.

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Samedi 3 mars.

Je n’ai plus l’impression de mon âge. Je me suis tellement transportée au bout de la vie, je me sens contemporaine des femmes qui finissent, les jeunes ne m’intéressent pas. Je n’aime que ceux qui regrettent, mais pour de bon. — Les petits malheurs, les petites déceptions, les chagrins d’amour par exemple me rendent cruelle, J’aime les vrais déçus, les volés, ceux qui ont une grimace bien laide et convaincue à faire à l’existence.

Avoir lu tous les livres, respiré toutes les fleurs, caressé tous les animaux, vécu sous tous les climats, fréquenté toutes les races, goûté à toutes les joies et toutes les mélancolies, connu toutes les admirations et toutes les lucidités, n’avoir plus en mourant qu’à jeter une écorce sucée et tordue de main de maître, Ainsi soit-il !

13 Mars. Ces cahiers : la collection de mes migraines mentales. Non pas que je les renie, je ne suis que ce qu’ils disent, mais je n’ai la patience de revenir sur ma vie présente que dans mes mau- vais moments. Autrement, je travaille et je fonce en avant.