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ANNÉE 1901

ANNÉE 1907 239

J’ai vingt-six ans et je ne sais bien mépriser que moi-même. Chrétienne va !

Dimanche 23 juin.

Moralité de mon footing au pas accéléré pour m’emballer un peu le moral. N.-B. : vous devez toujours avoir la fièvre sous peine de mort.

Résolution pratique : Ne jamais penser à ce à quoi je ne puis rien — santé, faute d’argent — pour me déshabituer de l’obs- tacle, de la défaite, et surtout de la patience, de tout ce fatras d’attentes qui mène à l’innervation. Ne vouloir exister que sur le point où l’on peut agir, car la volonté se détruit dès que, pour allié, elle accepte le temps. De suite on lui laisse tout faire. Ne compter que sur soi, ne compter pas même sur le temps.

A méditer demain 3 /4 d’heure pendant ma promenade du matin : « Pour obtenir la victoire sur les hommes et sur les choses, rien ne vaut la persévérance à s’exalter soi-même et à magnifer son propre rêve de beauté et de domination. » (Le Feu.)

Je ne passe jamais devant un puits sans regarder soigneuse- ment au fond. C’est une des plus belles sensations de la vie. Un recueillement si instantané, un autre monde si invisible et si près. On dirait brusquement un grand silence, impression toute morale de la profondeur.

Les trois calamités humaines : bêtise, laideur et lenteur.

Se faire un bonheur avec ce qui reste. s’amuser à ramasser ses morceaux ?

Des aveugles ont sculpté, des sourds conférencié, des hom- mes sans bras ont peint avec leurs pieds (musée de Dijon). Mme Galleron de Calonne, l’amie de Carmen Sylva, a fait des vers au soleil et à son mari, qu’elle ne voyait pas. Cela me choque. Ces acrobaties de la douleur me rappellent l’employé des pompes funèbres : comme il savait son métier, il put lui- même s’enterrer !