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lisant Loti, ce retour au large, ce frisson d’échappée, d’isole- ment sauf en regagnant son mouillage…

Samedi 20,

J’ai beau être un peu comme Mme de Sévigné « toujours de l’avis du dernier qui a parlé », je crois que je n’estimerai pas beaucoup Schopenhauer. Le poème byronien du pessimisme est bien allemand pour ma latinité. Schopenhauer est un philo- sophe de lettres, et les philosophes de sciences à la Herbert Spencer m’ont habituée à plus de rigueur. Il est aussi très faible d’exposition, très drôlement bavard et il vous assassine de comparaisons. Moi, elles ne m’amusent pas et, plus elles abondent, plus leur nullité probative me gêne. Trop affirmatif aussi le monsieur, il va me précipiter sur Hegel et Fichte.

Si un système de talent pouvait sortir d’une philosophie de femme, je me le représenterais exposé de cette manière.

Saint-Just. La révolution m’ennuie après Thermidor. L’éloquence des Girondins ? Mais prenez un rapport de Saint- Just, Vergniaud est un phraseur, un poncif à côté de ça.

Une seule chose me gêne : son étonnante et presque lyrique affection pour Robespierre. Virtuosité d’ambitieux ? Ce trop jeune dictateur choisissait-il un régent à sa minorité ? Il ya des jours où je me sens passablement curieuse des « états inté- rieurs » de ce « fanatique ».

Certaines nuances affectueuses appartiennent presque plus à nos habitudes de politesse qu’à nos usages sentimentaux, et sur une échelle bien plus importante qu’on ne croirait.

1901, Trez-Hir, 25 juillet.

On a cru perdue la caisse de mes cahiers, tout mon journal depuis dix ans, mon premier travail presque achevé, des pro- jets, des notes et tout ce que je copiais, quand je croyais à la copie. Enfin dix ans d’existence, goutte à goutte, mes dix

JOURNAL DE MARIE LENÉRU 16