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ANNÉE 1903

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jours qui font peur de « succomber à la tendresse du regret », je n’ai qu’une nostalgie, mais féroce : je regrette la gaieté, et pour elle seule. Non pas ce qui la cause, mais la balaye des esprits animaux.

Je regarde les jeunes chiens avec jalousie. Le terrible, c’est de devenir élégiaque.

7 juin.

Vingt-huit ans. N’en parlons plus. Je ne pense qu’à une chose, à une petite fille de treize ans que j’ai connue jadis et dont je ne saurai jamais ce qu’elle est devenue.

Le magnifique est de conserver mon intransigeance à l’égard du superflu quand le nécessaire fait tellement défaut. Je ne suis pas encore à point pour me laisser glisser dans un bonheur médiocre, mais pourrai-je m’en passer toujours ? Jamais rien, un obstacle, un écran entre la mort et soi… En me regardant dans une glace j’ai des surprises de trouver encore en moi une espérance de femme.

Et pourtant, je ne suis pas prête. Je veux encore attendre le bonheur. Il faut me préparer à la vie : dix ans de bonheur et je me prépare à la mort.

Je suis venue, comme la Sibylle, à une heure où j’avais les livres entiers de l’avenir dans mes bras. On m’en a refusé le prix, et trois furent jetés au feu. De ce qui restait j’ai de- mandé la même chose et, devant le refus, trois encore ont été brûlés. C’est des trois derniers livres que la Sibylle reçut le prix qu’elle avait attendu de tous.

Grand Hôtel du Trez-Hir, 4 août 1903. « Vous y viendrez quand vous aurez mon âge. » Ça c’est

l’hypothèse, mais l’expérience est qu’à mon âge vous n’étiez pas moi.