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ANNÉE 1915

ANNÉE 1915

d’être tombé aux Éparges. J’avais lu le récit de ce tour

de force en rentrant des sanglots d’admiration. J’ai découpé le journal pour avoir toujours ce récit dans les livres que je relis. J’y écrirai le nom de votre fils. La gloire, l’immor- talité, c’est le souvenir dans les cœurs qui survivent, c’est l’amour des vivants pour les morts.

Vos fils et leurs pareils auront fait la mort si belle, qu’ils nous auront appris le remords, la honte de la vie sauve. Ah ! si cela pouvait vous consoler, soyez sûr que voilà des morts qui ne seront pas oubliés : « La voix d’un peuple entier les berce en leurs tombeaux. » Tous les rapports de la vie et de la mort sont changés à présent. Les oubliés, les sacrifiés, ce sont les vivants. Pourrons-nous jamais les aimer comme nous aimerons les autres ?

Au fait, c’est dans ce cahier que je garderai les Éparges, et si je copie des lignes de ma correspondance qui n’ont même pas la valeur de notes littéraires, c’est pour ne rien oublier, pas un battement de cœur envers vous, ô morts pour ma patrie, à qui je veux dédier mon plus grand effort, mon plus grand travail, une pièce dont je ne sais rien encore, si ce n’est qu’elle s’appel- lera La Paix et que je vais à elle, que je m’y prépare reli- gieusement, comme à une vocation, car il faut qu’elle agisse, ce n’est pas en artiste que je veux exploiter la catastrophe, — je veux faire représenter sur la scène du premier théâtre

’ français, la plus forte machine littéraire qui ait jamais fonc-

\ M. Billotte : Je n’ose pas vous dire que c’est si beau