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Page:Journal asiatique, série 10, tome 18.djvu/518

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NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1911.

TRADUCTION.

… Si on ne rencontre pas une cause occasionnelle, on n’a pas par où se libérer et poursuivre la délivrance[1].

La nature primitive du corps charnel[2] est-elle simple ou est-elle double[3] ? [Car] tous les saints sans exception qui sont

  1. L’édition de M. Lo Tchen-yu débute par cette phrase, mise au milieu d’une ligne, comme une rubrique. Elle est d’allure toute bouddhique. Pour obtenir la délivrance, il faut non seulement des causes premières, des causes efficientes ( yin, nimitta), mais aussi des causes secondaires, occasionnelles ( yuan, pratyaya), comme la rencontre d’un « ami excellent » qui vous guide dans la bonne voie (cf. S. Lévi, Mahāyāna-sūtrālaṃkāra, ii, 26). L’expression de 解脫 kiai-t’o, « délivrance », s’applique bien au manichéisme, puisqu’il s’agit de délivrer les éléments de lumière emprisonnés dans la matière ; mais c’est la traduction usuelle et littérale du vimokṣa bouddhique. Quoi qu’il en soit de cette phrase, on va voir qu’à la suite d’une question de A-t’o, l’Envoyé de la Lumière raconte la délivrance des cinq corps lumineux emprisonnés dans les gouffres des ténèbres par les démons ; c’est le second acte de la cosmogonie manichéenne, celui qui correspond à la délivrance, par l’Esprit Vivant, des cinq « fils » de l’Homme primitif. Le début, aujourd’hui disparu, devait donc mentionner l’existence des deux principes lumineux et obscur, puis l’envahissement de la terre de lumière par le roi des ténèbres, l’évocation, par le Père de la Grandeur, de l’Homme primitif et de ses cinq « fils », enfin la défaite de l’Homme primitif vaincu par les démons.
  2. L’expression de « corps charnel », quoique d’une clarté absolue, n’est pas très usuelle dans le bouddhisme chinois. En turc de l’époque des T’ang, on a également ät’öz, qui semble bien composé de ät « chair » et öz « personne » (cf. W. F. K. Müller, Uigurica, I, p. 55 ; von Le Coq, Chuastuanift, p. 304) ; peut-être l’expression turque a-t-elle été frappée par des manichéens. Dans notre texte, le mot jeou est écrit avec la forme , usuelle sous les T’ang.
  3. On verra plus loin que l’homme a une « nature primitive » et une « nature étrangère, qui habite en lui provisoirement ». Nous avons ajouté « car » dans notre traduction, puisqu’il s’agit d’une question dont la seconde phase ne peut être que le développement. Mais il subsiste quelque obscurité, puisque nous ne pouvons encore préciser s’il s’agit d’opposer la « nature primitive » à la « nature étrangère », ou la « nature lumineuse » à une « nature obscure », qui seraient toutes deux « primitives ». Il semble seulement que le texte, plus littéralement, soit en faveur de cette seconde interprétation. La « nature lumineuse » correspond au giyân rôšan « âme de lumière » du pehlvi manichéen (cf. par exemple Müller, Handschr., 52). Sur le dualisme des âmes dans le manichéisme, cf. le De duabus animabus de saint Augustin, et Bousset, Hauptprobleme, p. 368.