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Page:Journal asiatique, série 10, tome 18.djvu/521

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UN TRAITÉ MANICHÉEN RETROUVÉ EN CHINE.

et Chan-mou (Mère excellente)[1] entrèrent dans le domaine sans lumière des gouffres d’obscurité[2] ; ils en retirèrent

    Il établit la doctrine pure de l’Unité trine, sans l’appeler une nouvelle religion. » Legge (Christianity in China, Londres, 1888, in-8o, p. 7) traduit : « Il établit ses doctrines nouvelles, opérant sans paroles par l’influence purifiante de l’Unité trine. » Heller (Das nestorianische Denkmal in Singan fu, Budapest, 1897, in-4o, p. 31) parle, sans autre explication, de « l’action silencieuse de l’esprit pur ». Seul le P. Havret (La stèle chrétienne de Si-ngan-fou, IIIe partie, Changhaï, 1902, in-8o, p. 46) a pressenti le véritable sens d’Esprit Saint et admis que King-tsing, l’auteur de l’inscription, avait tout au moins « eu en vue cette interprétation comme secondaire ». Cependant il est certain que c’est là le sens, non pas secondaire, mais unique, de Tsing-fong dans l’inscription de Si-ngan fou. Si on conservait le moindre doute à cet égard, il suffirait de se reporter au petit Éloge de la Sainte Trinité retrouvé à Touen-houang, et où l’Esprit Saint, troisième personne de la Sainte Trinité, est bien rendu par Tsing-fong. Il est curieux de voir que là où tous les exégètes modernes se sont mépris, quelqu’un avait vu clair, le P. Rho, qui traduisit une première fois l’inscription de Singan-fou l’année même de sa découverte, en 1625, et rendit bien Tsing-fong par Spiritus Sanctus (cette version est reproduite en appendice par Havret, Stèle chrétienne, III, 68).

  1. La Mère excellente n’est autre que la δύναμιν λεγομένην Μητέρα τῆς Ζωῆς qu’évoque le Père Excellent dans les Acta Archelai (chap. 7, p. 10 ; cf. Cumont, Cosmogonie, p. 14) ; la Mère des Vivants apparaît aussi dans le Fihrist (Flügel, Mani, p. 91, 100, 250-251, 343) et dans les textes pehlvi de Tourfan (Müller, Handschr., p. 47, 55) ; Titus de Bostra (éd. de Lagarde, Berlin, 1859, in-8o, i, 24) l’appelle δύναμις τοῦ ἀγαθοῦ (cf. Flügel, Mani, p. 210), ce qui, combiné avec la mention des Acta Archelai, justifie le nom chinois. Dans Théodore bar Khôni (Pognon, Inscriptions, p. 185), la Mère de Vie apparaît dès le premier acte de la cosmogonie manichéenne, mais elle intervient aussi, à côté de l’Esprit Vivant, dans la constitution du monde (Pognon, Inscriptions, p. 188, 189) ; c’est aussi le cas ici pour la Mère excellente. MM. Bousset (Hauptprobleme, chap. 1 et 2) et Cumont (Cosmogonie, p. 15) ont montré les origines de la Mère de Vie, qui se retrouve dans les sectes gnostiques. Pour la triade Père, Mère et Fils, cf. les textes parallèles pehlvi et sogdien publiés par Müller (Handschrift., p. 102-103) : la Mère y est appelée Râmrâṭûkh ; dans le Fihrist (Flügel, Mani, p. 90 et note 292), la Mère des Vivants semble porter le nom de Nahnaha, que Flügel traduit hypothétiquement par « Abwendung des Bösen ».
  2. Cf. saint Augustin, De moribus Manichaeoram, liv. II, chap. 9, dans Migne, Patr. lat., t. XXXV, col. 1351 : « ..... malum esse quinque antra elementorum, aliud tenebris, aliud aquis, aliud ventis, aliud igni, aliud fumo plenum. » D’après Théodore bar Khôni (Pognon, Inscriptions, p. 184), les cinq mondes