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Page:Journal asiatique, série 11, tome 19-20.djvu/280

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AVRIL-JUIN 1922.

l’arrièrre-fond de la pensée indienne : dhāman, karman, brahman. Le Ṛgveda appelle dharman l’acte sacrificiel par lequel dieux ou prêtres « maintiennent » l’ordre du monde. Il nous explique expressément (v, 63) que Mitra et Varuṇa sont les gardiens des lois (ṛtasya gopāvadhi ; vratā rakṣethe) par l’efficace de leur dharman (mot constamment usité au moyen : dharmaṇā), et ce dharman est comme un sortilège d’être surnaturel (asurasya māyayā).


II. Les plus anciennes upaniṣads, puis, à un stade ultérieur, les çāstras juridiques ou politiques (dharma-, nītiçāstra), montrent dans la puissance temporelle du monarque l’héritière de la souveraineté que confère l’acte pie : le roi a pour fonction de « maintenir » cet ordre social qu’expriment collectivement la loi et individuellement la vertu. La Bṛhadāraṇyakopaniṣad (1, 4, 14) salue déjà dans le dharma (devenu terme masculin) un principe supérieur aux quatre castes, supérieur au démiurge même : la souveraineté de la souveraineté (kṣatrasya kṣatram), cette puissance qui est vérité (satyam), mais aussi cette vérité qui est puissance et en laquelle « le faible en lutte contre le fort met son recours comme en un roi ». Effectivement, au sacre des rois, on proclame qu’il est né un et gardien du dharma », — en termes analogues à ceux qui faisaient tout à l’heure des dieux les « gardiens » du ṛta ou des vrata. Le roi en personne déclare : « Le dharma doit entrer en vigueur dans mon pays. » Le dharma n’exprime plus la puissance du sacré, mais la puissance de la souveraineté temporelle ; quoiqu’il ait passé des dieux aux prêtres, puis des prêtres aux rois, le dharma consiste toujours à maintenir un ordre. Ce despotisme éclairé qui fait le fond de la politique indienne voit dans le peuple, matière sociale sans initiative (prakṛti, — on voudra bien remarquer le mot), mais dont la sauvegarde est la raison d’être du monarque lui-même, un troupeau à