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Page:Journal d'une femme de cinquante ans de La Tour du Pin.pdf/48

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JOURNAL D’UNE FEMME DE CINQUANTE ANS

ces jours de splendeur pour la reine Marie-Antoinette est souvent revenu à ma pensée, au récit des tourments et des ignominies dont elle a été la trop malheureuse victime ! J’allai voir le bal que les gardes du corps lui donnèrent dans la grande salle de spectacle du château de Versailles. Elle l’ouvrit avec un simple jeune garde, vêtue d’une robe bleue, toute parsemée de saphirs et de diamants, belle, jeune, adorée de tous, venant de donner un Dauphin à la France, ne croyant pas à la possibilité d’un pas rétrograde dans la carrière brillante où elle était entraînée ; et déjà elle était près de l’abîme. Que de réflexions un pareil rapprochement ne fait-il pas naître !

Je ne prétends pas retracer les intrigues de la Cour que ma grande jeunesse m’empêchait de juger ou même de comprendre. J’avais déjà entendu parler de Mme de Polignac, pour qui la reine commençait à avoir du goût. Elle était très jolie, mais elle avait peu d’esprit. Sa belle-sœur, la comtesse Diane de Polignac, plus âgée, femme très intrigante, la conseillait dans les moyens de parvenir à la faveur. Le comte de Vaudreuil, leur ami, et que ses agréments faisaient rechercher de la reine, travaillait aussi à cette fortune devenue, par la suite, si grande. Je me rappelle que M. de Guémenée tâchait d’alarmer ma mère sur cette faveur naissante de Mme de Polignac. Mais ma mère se laissait aimer de la reine, tranquillement, et sans songer à profiter de cette faveur pour augmenter sa fortune ou pour faire celle de ses amis. Elle se sentait déjà attaquée du mal qui la fit périr moins de deux ans après. Tourmentée à tous les moments par