Page:Journal de Gouverneur Morris.djvu/145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
127
JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

actuels ne sera admis à entrer au ministère. À l’instigation de l’évêque, certaines mesures ont été prises pour protéger les biens d’église. Les nouvelles que Mme de Chastellux m’a communiquées hier soir sont entièrement fausses, je crois ; elles lui ont pourtant été données par une personne de confiance. Être avare de crédulité dans ce pays-ci, c’est économiser sa réputation.


8 novembre. — Employé toute la matinée à écrire. À trois heures, je dîne chez Mme de Flahaut. Le dîner est excellent, et, comme d’habitude, la conversation est extrêmement gaie. Après dîner, l’on joue aux cartes, et moi, qui me suis imposé la règle de ne pas jouer, je lis une proposition du comte de Mirabeau, dans laquelle il dépeint avec vérité la terrible situation du crédit dans ce pays-ci ; mais il ne réussit pas aussi bien à trouver le remède qu’à révéler la maladie. Cet homme sera toujours puissant dans l’opposition, mais ne sera jamais grand dans l’administration. Je crois son intelligence affaiblie par la perversion de son cœur. Il est un fait que bien peu de gens soupçonnent, c’est que l’esprit ne peut être sain là où la morale ne l’est pas. Les desseins sinistres font voir les choses de travers. Du Louvre je vais chez Mme de Chastellux. Le comte de Ségur et son aimable belle-fille s’y trouvent. Je lui fais par plaisanterie une déclaration d’amour que j’aurais pu lui faire sérieusement ; mais, comme elle attend d’un moment à l’autre un mari qu’elle aime, ni la plaisanterie ni le sérieux ne tireraient à conséquence.


9 novembre. — Je vais dîner aujourd’hui chez M. Necker ; je me place près de Mme de Staël et, comme notre conversation s’anime, elle me demande de parler anglais ; son mari ne comprend pas, mais en jetant les yeux autour de la table, je remarque chez lui une grande émotion. Je dis à Mme de Staël qu’il l’aime à la folie ; elle répond qu’elle le sait