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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

en voie de réussir. Les impériaux ne possèdent que Bruxelles et s’y trouvent assiégés. Mme de Flahaut, comme il convient à une fidèle alliée de l’empereur, étouffe toute révolte de ma part. Peu après arrive le comte de Thiard qui nous rend compte de ce qui s’est passé en Bretagne. Il est arrivé entre autres choses que les municipalités se sont querellées au sujet des subsistances, et que l’on a dû avoir recours à la force des deux côtés. En conséquence, chaque parti ordonna à un régiment de marcher contre l’autre, car il se trouvait que chacun avait un régiment caserné sur son territoire. Heureusement un compromis intervint ; ce sont là les prémices d’une nouvelle constitution qui crée des armées et des municipalités. Il y aura beaucoup d’incidents du même genre, car, quand les hommes sont décidés à regarder comme de vulgaires préjugés tous les principes que l’expérience a établis jusqu’ici pour le gouvernement, il faut s’attendre à des contradictions sans nombre. Je soupe ici, et fais le thé de Mme de Laborde. Mme de Flahaut se plaint de ne pas avoir un beau sucrier pour son service à thé. C’est une entrée en matière pour raconter (elle qui se prétend très avare) qu’elle n’a pas voulu en accepter un de moi comme cadeau, tandis que Mme de Laborde, qui se prétend désintéressée, a accepté une belle tasse avec soucoupe. De fait ce cadeau n’a été fait que sur l’insistance de Mme de Flahaut. Je prétends que cette histoire n’est qu’une pure malice, et avec mon crayon j’écris les lignes suivantes :

« Clara, vous vous vantez de votre avarice ; vous vous vantez aussi de la bonté de votre nature ; je ne sais à laquelle de ces qualités vous attachez le plus de prix, mais je sais bien celle des deux qui est la plus grande.

« Vous refusez les cadeaux que l’on vous fait, mais vous les faites accepter par votre amie ; vous l’injuriez pour ce qu’elle prend, et moi, pour ce que vous ne prenez pas. »