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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

de Necker ; car autrement ses amis sont fondés à dire que le mal vient de ce que l’on n’a pas adopté ses vues ; que, de plus, si l’on émet du papier-monnaie, celui de la caisse est tout aussi bon qu’un autre. Il objecte que la France peut être ruinée par une mauvaise mesure. Je lui réponds que c’est impossible et qu’il peut se tranquilliser à ce sujet ; dès que l’on aura recours aux impôts, le crédit sera rétabli et une fois le crédit rétabli, il sera facile de mettre de l’ordre dans les affaires de la Caisse. Je vais au Palais-Royal, sans avoir pu quitter Mme de Flahaut avant quatre heures. J’arrive au milieu du dîner, à la fin duquel l’abbé Delille nous récite encore des vers. Je vais au club et de là chez le comte de Moustier. Je reste quelque temps avec lui et Mme de Bréban, et nous nous rendons ensemble chez Mme de Puisignieux, où je passe la soirée. Je parle surtout avec de Moustier. Je découvre que, malgré leurs professions publiques sur les affaires d’Amérique, de Moustier et Mme de Bréhan détestent cordialement tous les deux le pays et ses habitants. La société de New-York, me disent-ils, n’est pas sociable, les productions d’Amérique ne sont pas bonnes, le climat est très humide, les vins sont abominables, les gens sont excessivement indolents.


15 décembre. — L’opéra de ce soir est une nouvelle pièce, qui est très bonne. J’emmène Mme de Flahaut en jouir avec moi. Cette pièce contient aussi peu que possible des défauts inévitables d’un opéra, mais les vices radicaux s’y retrouvent ; les décors sont splendides. Après l’opéra, Gardel, puis Vestris, exhibent leur génie musculaire. Ce dernier semble presque marcher dans l’air. C’est un prodige de mécanisme humain. Je ramène de l’opéra M. Robert (le peintre) et sa femme, puis je vais au Louvre. M. de Saint-Priest s’y trouve. Nous devons souper à trois. Arrive le vicomte de Saint-Priest, un fat, et, ce qui est pire, un vieux fat. Conversation terne.