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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

compte du danger d’une telle liaison. Je lui rappelle les avertissements que je lui avais donnés contre Mirabeau, et j’ajoute ce que le comte de Luxembourg m’avait prié de lui faire savoir : que Mirabeau avait juré de ruiner La Fayette. Je lui dis ensuite que la conduite de Monsieur a mis les atouts dans ses mains à lui ; Monsieur s’est placé à la tête de la révolution ; il doit y rester, car, s’il y a une contre-révolution, il préserve les têtes de tous les autres contre les accidents, et si la révolution s’accomplit, la nullité de son caractère lui enlève tout poids et toute autorité. La Fayette goûte fort cette idée. Je saisis l’occasion de lui ancrer de nouveau dans l’esprit l’avantage d’un ministère dont les membres seraient honnêtes. C’est précisément le cas de M. Necker dont la probité fait tout pardonner. Il est convaincu, mais ce ne sera pas pour longtemps. Son tempérament le porte à l’intrigue et lui fait rechercher les gens de dispositions semblables. En m’en allant, je lui demande s’il voit souvent le monsieur que je lui ai présenté. Il me dit que non. Contrairement à mon intention, il le nomme (c’est l’évêque d’Autun) et ajoute qu’il aurait voulu lui donner la bibliothèque du roi, avec l’abbé Sieyès sous ses ordres : ce serait un pas de fait vers l’éducation nationale, la marotte de l’évêque. J’entreprends, sur sa demande, de lui en faire part. Je rends visite à Mme de Chastellux. Elle me dit que Monsieur n’est pas trop applaudi dans le monde, du moins dans la bonne société. Je n’en suis nullement surpris. Je vais de là chez Mme de Laborde, après avoir d’abord écrit un petit impromptu à l’adresse de la duchesse au nom de Mme de Chastellux, à qui elle avait fait cadeau d’une petite horloge comme étrennes.

« Chère princesse, vous faites un cadeau pour montrer la rapidité de la fuite des minutes ; venez donc réparer leur perte par votre présence ; venez à l’appel de votre amie.

« Votre bonté m’a montré le prix de ces moments ; c’est