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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

En sortant au dîner, je fais une visite à Mme de Chastellux. La duchesse d’Orléans nous rejoint au bout de quelque temps et nous formons un trio pendant une demi-heure. Elle a quelque chose sur le cœur, peut-être a-t-elle besoin d’être aimée. J’excuse la mauvaise conduite de son mari, et lui conseille de donner à son fils, M. de Beaujolais, le goût des affaires ; autrement, à vingt-cinq ans, après avoir épuisé toutes les jouissances que peuvent procurer le rang et la fortune, il sera malheureux de ne pas savoir comment s’occuper. Elle répète qu’elle est très contente de me voir. C’est très bien de sa part, mais j’ignore ce que cela signifie exactement.

Je me rends ensuite chez le baron de Besenval. La société est nombreuse, et il s’y trouve le vicomte de Ségur, qui passe pour le fils du baron ; il faut admettre qu’il l’est réellement, si l’on accepte comme preuve leur ressemblance physique et leur tendresse mutuelle. Ce jeune homme est le Lovelace du jour, et aussi remarquable que son père comme séducteur. Il ne manque pas d’intelligence.

Les invités semblent croire d’une façon générale que ce n’est pas la peine de convoquer les États généraux pour une chose d’aussi peu d’importance que le déficit. Voici donc la situation de M. Necker : s’il arrive des malheurs, on l’en rendra responsable ; s’il s’en tire à son honneur, d’autres réclameront la gloire des bonnes mesures que pourront adopter les États généraux. Il aime la flatterie, étant lui-même flatteur ; il est donc facile à tromper. Il croit que beaucoup le défendent par estime, alors qu’ils ne font que se servir de lui, et qu’ils rejetteront leur instrument dès qu’il ne pourra plus leur être utile. Necker est en bonne posture jusqu’en mai, mais il disparaîtra probablement à ce moment, à moins qu’il ne trouve de nouveaux expédients. La Caisse d’escompte est pleine d’effets royaux. Il lui manque donc à la fois le moyen et la volonté de venir au secours du ministre.