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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS.

tion, simplement pour éviter une guerre civile. Je lui dis que le roi est trahi par la faiblesse, sinon par la méchanceté, de ses conseillers. Il est du même avis. Je lui demande ce qu’il pense de Fleurieu. Il me répond que c’est une pauvre créature. L’évêque d’Autun me fait remarquer aujourd’hui au Louvre que les Jacobins n’ont pas pu susciter une émeute au sujet de leur adresse. Je lui dis que depuis la folie du Champ-de-Mars, il y a peu de danger d’une émeute, car le peuple ne les aime pas beaucoup, de moment qu’il a vu que la mort est un jeu auquel on peut jouer à deux. Il ajoute que le roi est d’une humeur charmante, de ce que ses veto soient passés si facilement, et qu’il s’en servira de temps en temps. Pauvre roi !


21 décembre. — Je dîne chez Mme Tronchin, et j’y rencontre Mme de Tarente. Je lui demande de me procurer une boucle de cheveux de la reine. Elle promet d’essayer. Je pense que cette demande plaira à Sa Majesté, même si elle ne l’accorde pas, puisqu’elle est femme. Je vais chez Mme de Staël. Elle est au lit et heureuse de me voir ; elle me raconte toutes les nouvelles qu’elle sait. L’abbé Louis arrive ; c’est un flagorneur au possible. Delessart, ministre des Affaires étrangères, est chez Mme de Montmorin, cet après-midi, et après avoir effleuré de nombreux sujets dans notre conversation après dîner, je conclus au moment de partir en lui disant que le roi est la seule pièce de bois qui restera à flot dans le naufrage général. Il dit qu’il commence à le croire. Je recommande au ministre de la marine d’amener les troupes suisses à Paris, sous prétexte qu’elles sont trop aristocrates pour qu’on leur confie les frontières. Elles maintiendront ici l’ordre au milieu de la confusion générale à laquelle on peut s’attendre. Je lui conseille également de rapprocher la cavalerie sous de semblables prétextes. Il approuve ce projet.