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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS.

Brémond. Je m’habille pour me rendre à la Cour. On parle de nouveau de meurtres et d’assassinats dans le sud de la France.


24 juillet. — Monciel m’apporte de l’argent de la part du roi[1], qui me fait dire en même temps que je lui ai

  1. L’argent que Monciel apporta à Morris était la propriété personnelle du roi. On lira avec intérêt, à ce sujet, la lettre suivante écrite par Morris, à Vienne, en décembre 1796, et adressée à « Son Altesse Royale, la Princesse de France ». Elle fait connaître en même temps le projet de fuite du roi, préparé par le ministre plénipotentiaire des États-Unis. La lettre est écrite en français.

    « Son Altesse Royale recevra ci-jointe la copie du seul compte que les circonstances aient permis de tenir. Il lui en faut une explication. M. M… qui s’était permis quelquefois de faire passer ses idées sur les affaires publiques à Leurs Majestés, confia aux soins de M. le comte de Montmorin, lorsqu’il s’agissait d’accepter l’acte fatal qu’on nommait la Constitution française, un mémoire en anglais, accompagné d’un projet de discours en français. Le premier, qui était le plus essentiel, en ce qu’il devait servir de base à l’autre, ne fut présenté au roi qu’après son acceptation. Sa Majesté désirait en avoir une traduction, et M. de Montmorin pria l’auteur de s’en charger. Il le fit en effet, mais il l’envoya directement au roi, en s’excusant des expressions qui devaient paraître trop fortes. Sa Majesté avait conçu des idées semblables à celles énoncées dans le projet de discours, détaillées et appuyées par le mémoire, et elle ne les abandonna qu’à regret ; ainsi, elle vit, dans la conduite de M. de Montmorin, une finesse qui altéra beaucoup sa confiance. Sa position affreuse l’avait pourtant mise dans la nécessité de se servir de personnes qui lui étaient à peine connues. Parmi ceux que les circonstances avaient portés au ministère, se trouvait M. Terrier de Monciel, un homme que M. M… avait connu pour être fidèle au roi, quoiqu’il eût des liaisons à juste titre suspectes. Il crut donc devoir dire à Sa Majesté qu’elle pouvait s’y fier. Il en résulta qu’il fut chargé par elle de l’affaire la plus importante, c’est-à-dire d’aviser aux moyens de tirer le roi de sa périlleuse situation. Il eut à cet effet des consultations fréquentes avec M. M… et parmi les différents moyens qui se présentèrent, celui qui leur parut le plus essentiel fut de faire sortir la famille royale de Paris. Les mesures étaient si bien prises à cet effet que le succès en était presque immanquable, mais le roi (pour des raisons qu’il est inutile de détailler ici) renonça au projet le matin même fixé pour son départ, alors que les gardes suisses étaient déjà partis de Courbevoie pour couvrir sa retraite. Ses ministres, qui se trouvaient gravement compromis, donnèrent tous leur démission. Le moment était d’autant plus critique que Sa Majesté tenait déjà les preuves de la conspiration tramée contre sa personne. Il ne lui restait alors qu’un