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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

vient pas pour sauver les nobles, ils sont perdus, et il n’y a que très peu de chances en faveur de cette intervention. Du club je vais souper chez Mme d’Espinchal, pour répondre à une invitation dont je me serais volontiers dispensé. On réclame à grands cris l’épitaphe impromptu que j’ai écrite au Raincy sur le vicomte de Ségur, et qui ne vaut rien. J’élude la demande jusqu’à la fin du repas, mais, à ce moment, Mme de Boursac me demande de la répéter, et Mme de Warsi, dame d’une grande beauté, me prie de l’écrire, parce qu’elle ne comprend l’anglais qu’à la lecture, ayant appris à le lire et non à le parler. Sur sa promesse qu’elle me rendra mon papier, je lui écris les mauvais vers en question, dont le seul mérite est d’avoir été écrits sur-le-champ, comme une petite vengeance de Mme de Saint-Simon, sur laquelle M. de Ségur avait composé, à déjeuner, une épitaphe qui n’était pas trop délicate :

« Ci-gît un gai chenapan, qui passa toute sa vie à mal faire, mais qui refusa toujours de prendre femme, par peur de la peine du talion. »

Les applaudissements qui accueillirent ces vers sont dus à la satisfaction qu’éprouve l’homme à voir frapper un tyran. Mme de Warsi demande de les garder, mais je refuse. Elle dit se les rappeler, et, pour m’en convaincre, essaye de les écrire de mémoire, mais elle me prouve, ainsi qu’à elle-même, que cela lui est impossible.

M. de Boursac me dit que l’aristocratie se console à l’idée que le roi a convoqué un conseil spécial, dont chaque membre devra donner son avis sur la situation actuelle en présence de Sa Majesté. Je ne crois pas que cela puisse être d’une grande utilité, car la décision prise aujourd’hui par les États généraux réduira au silence ceux qui, il y a deux jours, étaient les plus violents contre M. Necker ; selon toute probabilité, ceux-là mêmes qui ont convoqué ou provoqué la convocation de ce conseil, trouveront que le résultat en est tout le contraire de ce qu’ils désiraient ou espéraient.