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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

l’absence d’un prince aussi faible ne peuvent avoir que peu d’influence. Après dîner, nous commençons une conversation politique avec quelques députés ; j’essaye de leur démontrer l’absurdité de leur veto suspensif et la tyrannie probable de leur chambre unique. J’aurais mieux fait de me taire, mais le zèle l’emporte toujours sur la prudence. M. de Montmorin exprime le désir de me voir souvent ; j’en fais la promesse, mais je ne crois pas que ce sera possible cette fois. — De là, je me rends chez Mme de Tessé. Elle est convertie à ma manière de voir. Nous avons quelques minutes de gaie conversation sur les choses de France, et je cherche à mêler à de profondes maximes de gouvernement cette légèreté piquante qui fait les délices de cette nation. J’y réussis ; à mon départ, elle me suit et insiste pour que je dîne chez elle à ma prochaine visite à Versailles. Nous sommes très aimables, et tout à coup, d’un ton sérieux : « Mais, attendez, madame, est-ce que je suis trop aristocrate ? » — Elle répond avec un sourire de douce humiliation : « Ah, mon Dieu, non. » De là je regagne ma voiture pour aller voir de Canteleu à l’Assemblée nationale. Pendant que je l’attends, je vois, parmi d’autres personnes, le jeune Montmorency qui m’emmène avec lui et me fait entrer dans la galerie. Le hasard me place près de Mme Dumolley et de Mme de Canteleu. Nous nous reconnaissons soudain et notre surprise est très agréable. Mme Dumolley me pose la question à laquelle j’ai déjà dû répondre cent fois : « Et que disent les Anglais de nous autres ? » Je lui réponds d’un ton significatif : « Ah ! madame, c’est qu’ils raisonnent, ces messieurs-là. »


17 septembre. — Selon ma promesse, je dîne chez M. Jefferson. Un des convives, le duc de La Rochefoucauld, vient d’arriver des États généraux, et à quatre heures et demie La Fayette arrive. Il nous dit que certaines troupes sous ses ordres doivent marcher demain sur Versailles,