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année 1899

une malade. « Les grands pays muets devant moi s’étendront. » Et toujours à portée un bateau pour m’enlever au large, m’inoculer tout le bleu du ciel et de la mer.

Il est instructif d’écrire régulièrement ce qu’on pense car aujourd’hui je ne souhaiterais plus d’amour. Que dirais-je à un homme, que ferais-je d’un étranger ? Mais j’affirme que je n’ai jamais souhaité la mort, puisque c’est d’elle que je souffre. Hors certaines douleurs physiques, je crois qu’il n’y a pas de souffrances intolérables, ou du moins, qu’il n’y en a pas qui ne prennent trop grosse opinion d’elle-même dans l’appel du néant. Rien ne vaut la peine de mourir.

Le goût du néant ressemble trop chez nous à une vertu de nécessité. J’ose avouer que j’aimerais mieux vivre toujours de telle sorte que ce soit.

« Il faut animer et aimer la substance silencieuse de la vie. » Cet amour-là, je l’ai de naissance et mes expériences, si raides qu’elles aient été, n’ont fait que le rendre plus conscient. Je méprise ceux qui, à l’égard de cet optimisme ésotérique, ne sont pas du secret. Il est très naïf de vouloir fonder l’optimisme sur quelque chose, mais très piteux de ne savoir pas le fonder sur rien.

« Es ist wahr, wir lieben das Leben, nicht weil wir leben, sondern weil wir sind Leben gewohnt. »