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ANNÉE 1899

faites des sensations familières, au point qu’elles semblent nous avoir été arrachées de la veille, où tout s’accroît d’une manière, à la lettre, insupportable.

Il me faut deux heures pour m’endormir. Je me dresse toujours à penser des choses étrangères, mais, tout d’un coup, une phrase musicale, et alors, c’est fini, me voilà réveillée comme en plein jour, comme si ma chambre se remplissait de lumières.


Dimanche 27.

Quand j’ai fini, je recommence, et voilà peut-être la dixième fois que je lis Vauvenargues et La Rochefoucauld. Maintenant que je les connais bien je les estime autant l’un que l’autre, et Vauvenargues, qu’on m’avait fait prendre pour un poncif, est celui dans lequel je trouve les choses les plus inattendues, des nuances tellement modernes que je pense tout le temps à Nietzsche, qui d’ailleurs l’estimait beaucoup.

N’a-t-il pas inventé, M. Renan : « C’est faute de pénétration que nous concilions si peu de choses ? »

« Les hommes ne se comprennent pas les uns les autres. Il y a moins de fous qu’on ne croit. » Par exemple, les criminels.

Et quel dilettantisme qu’on ne lui soupçonnait pas : « Si les grandes pensées vous trompent, elles vous amusent. »