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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

suadés « qu’il ne faut pas juger les gens sur l’apparence » ce qui leur évite d’y porter la moindre attention. Il n’y a même pas à interpréter, à chercher de l’en-dessous, tout est visible, tout est à vif. Le préjugé contre l’apparence est une erreur de gnosticisme. Malebranche lui-même a su réagir. « J’ai un corps qui me paraît faire plus de la moitié de mon être. »

Mais, ceci admis, je ne crois pas mettre le « discernement des esprits » à la portée de plus de monde. Plus que jamais il y faudra le don de prophétie, car voir est une chose plus exceptionnelle et plus incommunicable que juger même et qu’analyser.

Les têtes de domestiques que certains maîtres introduisent dans leurs maisons ! et la moyenne des physionomies dans leur intimité…

Jamais en présence de son regard, je n’aurai l’idée de m’informer du caractère et de l’intelligence même d’un homme, pas plus que de la température auprès d’un thermomètre. L’œil est l’organe de l’esprit aussi spécialement que celui de la vue, et je vois le cerveau dans l’œil, la puissance cérébrale, comme j’y mesure la puissance visuelle. Mais qui donc encore sait voir la vue ?

À chaque instant on me demande « voyez-vous cela ? ». Comment peuvent-ils confondre le regard qui voit, et le regard qui ne voit pas ? Je fais des