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ANNÉE 1908

c’est la fatigue du jour qu’on voit se lever après une nuit sans sommeil. Perdre la notion du temps ! « Vous vivez toujours dans trois ans. » Mon présent aussi est fait de trois ou quatre années. Je sens trois mois comme les autres une semaine, c’est pourquoi l’impatience m’est inconnue. Si je suis rapide, c’est par amour du mouvement bien fait. Je suis irrémédiablement sans hâte et sans angoisses. Seulement je reconnais que la vie est plus parfaite dans un présent mieux détaché. S’enfermer en un jour comme dans une cellule…

C’est l’ennui qui m’a le plus déshumanisée. Pour les transformations radicales, je crois plus à l’ennui qu’à la souffrance. D’ailleurs, l’ennui des malades n’est pas celui des bien portants ; l’ennui dont je parle, c’est celui de la prison. On n’imagine pas avec quelle inadvertance je travaille à mon avancement littéraire. Je suis obligée de me rappeler à l’ordre. Ce n’est pas qu’il m’échappe que le seul avenir possible est là.


16 mai.

Nous avons tort, nous appelons style, avoir du style, être littéraire, un fait d’ordre nullement grammatical. La présence de la pensée et de l’observation dans la phrase, voilà ce qui fait, à égalité d’écriture, le grand écrivain. Si la phrase est sans intérêt