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ANNÉE 1911

et pense que, là comme ailleurs il faut chercher la perfection, je retrouve chaque soir le scrupule et le dégoût de cette vie, comme au temps où j’étais fille de sainte Thérèse.

Comme il faut se défendre pour être à soi, à la vraie vie qu’on aime et qui venge de la mort, tout se passe en apprêts, en intervalles, en vides… Les arbres de l’avenue du Bois, retrouvés à la sortie du métropolitain, les nobles arbres sous le ciel du soir, me sont un autre remords. Ne regarder ni le jour ni la nuit, cela non plus n’est pas vivre. Et puis encore, bien que je ne sois guère tolstoïenne, le mal au cœur de tant acheter, quand on pense à ceux qui n’achètent pas. Je voudrais être assez riche pour dépenser énormément pour ma toilette et donner exactement la même somme aux pauvres.


10 novembre.

Nos abstentions sont une grande part de nous-mêmes. Tout ce que nous ne sommes pas, tout ce que nous faisons et ne disons pas, doit compter bien plus peut-être en ce monde où nous avons si peu de temps d’être, de dire et de faire, et ce qui me sépare de Nietzsche que j’aimerais tant, est tout ce qu’il n’a pas su ne pas dire. Une seule fois, ne pas s’être abs-