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ANNÉE 1916

Nous sommes bouleversés par Verdun d’un espoir inébranlable, mais nous retrouvons toute la douleur des premiers jours ; un peu trop oubliée peut-être. Ah ! faut-il que le droit de vivre en France nous ait coûté ce prix-là ! La vie me paraît maintenant en moi, et en tous ceux qui ne sont pas les vôtres, un bien mal acquis. En revoyant la neige, le matin on pense : « Oh ! Verdun ». Vous parlez de ceux qui sont tombés. Je ne crois pas qu’une femme au milieu des siens, vivant auprès d’elle, ne sente pas à quel point son cœur est plus près des autres. Ah ! je plains ceux qui ne sont pas au front. Mais on voudrait bien faire aussi que les autres en reviennent.


Lundi, 7 mars.

15me jour de la bataille.

À Mab… — Quand il m’a dit au revoir, dans le lourd attirail du départ, et qu’on m’a dit de l’embrasser, il est arrivé si sérieux, si religieux que j’en étais toute impressionnée. Quelle responsabilité nous avons, chère amie, d’être des personnes à demi-célestes pour ces petits héros sans mère que la France nous confie… En regardant l’affreux bracelet d’identité je pensais qu’avec leurs camarades et leurs chefs, si prêts à disparaître eux aussi, nous sommes leurs