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XLVII
PRÉFACE

notre pitié, ce que nous prodiguerons surtout, c’est notre admiration. Je n’hésite pas à prédire que le journal de Marie prendra une des premières places parmi les autobiographies célèbres. Sous sa plume les noms de Marie Bashkirtseff et d’Amiel reviennent trop souvent pour qu’on ne soit pas fondé à croire qu’elle se considérait comme une rivale à laquelle une comparaison avec eux ne pouvait porter ombrage. Quant à moi, devant Marie Lenéru soupirant après le Dieu de son enfance, et en même temps esclave du démon de l’orgueil, hantée par des visions d’amoureuse harmonie et succombant à de vulgaires envies de fortune et toilette, trop fière pour se laisser plaindre, trop malheureuse pour ne pas avoir soif de consolation, un jour coquette, le lendemain désireuse d’être laide, sourde aux voix humaines mais l’oreille tendue aux appels des instincts les plus opposés, je pense à Flaubert et à l’immense Tentation de Saint-Antoine.

Tandis qu’infiniment variées, les tentations passent et repassent, il en est une qui se cramponne à Marie et l’accompagnera jusqu’à son dernier soupir : celle de la gloire littéraire, et comme une tentation permanente se transforme vite en passion, Marie s’abandonne tout entière à la fureur d’écrire et, sans aller jusqu’à dire qu’elle en oubliera par moments ses rêves de gloire, je suis convaincu que la certitude même de ne jamais parvenir à la célébrité ne l’eût pas empêchée de se livrer éperdument au