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année 1896

J’ai l’âme religieuse. Je me désintéresse de tout ce qui est mortel en moi, sans un raccourci d’effort. Je suis dégoûtée de ceux qui ne vivent pas leur vie éternelle. La religion est ce qu’il y a de plus fort. Dès ce monde, elle fait de nous des immortels. La mort qui ne tue pas, n’est plus qu’un pont dans l’espace, un mouvement de la vie que rien n’interrompt.

J’ai réfléchi trop tôt sur la vie normale ; elle me serait impossible, et je n’ai pas un regret pour la prédestination qui m’a captée, ne m’a pas laissée engager dans la voie commune.

Si Dieu m’accorde ce que je lui demande, je n’aurai pas un regret pour ce qui est passé.


Brutul, 17 juin.

Épargnez-moi, mon Dieu, quand je paraîtrai devant vous et que je vous comprendrai enfin, de sentir que je n’ai pas fait tout ce que je pouvais pour vous.

J’ai réglé comme j’ai pu l’emploi de mon temps, car il me faut des subterfuges pour me rendre les journées possibles : je me réveille tous les jours plus découragée. Je n’y fais pas trop attention, mais en regardant en arrière, je vois bien qu’il y a du chemin de fait. Chaque jour emporte sa parcelle d’espérance et