Page:Journal de Marie Lenéru.djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
37
année 1898

« fastidiousness » de jugement et de goût. Je n’ai pas l’idée de me satisfaire d’une chose avant d’avoir examiné les autres possibles, avant de connaître sa valeur relative. Je veux savoir de combien elle l’emporte. Le critérium de la valeur d’une chose et d’un être n’étant encore que l’échelle de sa supériorité, je n’aime que ce que je préfère. Et c’est pour préférer à coup sûr, que je critique si furieusement.

J’affirme que je n’ai pas d’orgueil ; je serais bien plus tranquille si j’en avais. D’ailleurs je ne me représente pas exactement en quoi consiste l’orgueil. Cest pour moi un de ces péchés obscurs comme il en existe quelques autres et dont je serai préservée par ignorance.

De la morgue, oui, et par conviction. C’est au point que l’absence de morgue me gêne en autrui, mais ceci est affaire d’épiderme et de tenue mondaine.

Je n’éprouve aucun besoin d’épanchement, de confidences. Quand il m’arrive de pécher à cet égard, il s’ensuit un malaise, un mécontentement, une impossibilité de me retrouver intacte, un éloignement pour les complices de ma maladresse. Ce qui me console, c’est que je parle assez légèrement de ce qui me touche le plus, et l’on ne sait pas à quel point je me suis livrée.

Tout ce que nous disons, nous l’exagérons en nous.