Page:Journal des économistes, 1876, SER3, T43, A11.djvu/115

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mandent non-seulement l’abandon de toute protection, mais même l’abolition complète des douanes.

« À mon avis, le motif pour lequel nous devons considérer Adam Smith comme l’un des grands bienfaiteurs de l’humanité, ce n’est pas seulement parce qu’en étudiant les causes de la richesse des nations, il leur a indiqué les moyens d’augmenter la production, c’est parce qu’il a démontré que les intérêts des peuples sont solidaires, et qu’il a donné ainsi une base rationnelle à la fraternité humaine, ce principe, sublime idée que le christianisme a apportée au monde. Au siècle dernier, les hommes les plus clairvoyants, comme Voltaire par exemple, étaient convaincus qu’on ne peut désirer la grandeur de son pays sans souhaiter en même temps l’affaiblissement des autres nations, et cette erreur malheureusement est encore très-répandue. Les économistes ont prouvé qu’au contraire un État a intérêt à ce que les autres États soient prospères, afin de trouver un large débouché pour ses produits, idée féconde qu’un poëte français a exprimé dans ces beaux vers :

Aimer, aimer, c’est être utile à soi,
Se faire aimer c’est être utile aux autres.

D’après moi, la première partie du programme de l’économiste politique, celle qui concerne la production de la richesse, peut être considérée comme presque épuisée. Quand on voit la prodigieuse accumulation de richesses qu’on rencontre partout en Angleterre, quand on relève les chiffres stupéfiants de son commerce extérieur et de ses échanges intérieurs, les 130 ou 140 milliards de francs de règlement du Clearing House, quand on pense d’autre part que la France a pu payer une indemnité de guerre de cinq à six milliards, perdre au moins trois a quatre milliards dans une lutte formidable, et néanmoins se trouver aujourd’hui aussi prospère que jamais et avoir rien que dans l’encaisse de la banque de France deux milliards de francs, amas de métaux précieux sans précédent, on est porté à croire que, grâce aux merveilleux progrès de la science et de l’industrie, les hommes sont à même aujourd’hui de produire tout ce qu’il faut pour la satisfaction de leurs besoins rationnels. Mais ce qu’il faut aborder maintenant, c’est la seconde partie du programme économique, celle qui concerne la répartition de la richesse. Le but à atteindre, tout le monde, je crois, l’admettra, c’est d’améliorer la condition des classes laborieuses, de façon que chacun jouisse d’un bien-être proportionné à la part qu’il a prise dans la production, et pour résumer ceci en un mot, à réaliser dans le monde économique cette formule de la justice : « À chacun suivant ses œuvres ». Mais c’est principalement