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Page:Journal officiel de la République française, Lois et décrets, 27 mai 1988.djvu/7

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27 mai 1988
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JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

— de vous efforcer de débarrasser notre ordonnancement juridique de règles devenues désuètes ou inutilement contraignantes, tout en favorisant la connaissance et la lisibilité d’un droit que nul n’est censé ignorer. La codification offre à cet égard un cadre privilégié pour rassembler un corps de règles jusque-là éclaté, tout en modernisant et en simplifiant le fond du droit. Je vous invite en conséquence à mettre en œuvre les instructions contenues dans la circulaire de mon prédécesseur relative à la codification en date du 15 juin 1987.

f) Enfin, la société civile peut à bon droit exiger de l’État un meilleur « bilan coût/efficacité ».

Le coût des services publics a tendance à s’élever plus vite que la production nationale. Il n’est ni acceptable que leur qualité baisse, ni prévisible que leur demande diminue.

Qui plus est, le poids des prélèvements obligatoires a atteint, dans notre pays comme chez nos voisins et partenaires européens, un seuil préoccupant.

En conséquence, la légitimité comme l’efficacité de l’intervention de l’État exigent désormais de façon urgente d’améliorer la productivité et la qualité des services publics. Je vous demande donc de poursuivre les efforts faits dans ce sens par mes prédécesseurs et d’engager de nouvelles actions dans le même but.


4. Respect de la cohérence de l’action gouvernementale

L’unité de l’action gouvernementale est une exigence constitutionnelle.

Compte tenu des interférences entre attributions ministérielles, inévitables dans une société aussi complexe que la nôtre, elle est également une condition première de l’efficacité du travail interministériel.

Enfin, la solidarité gouvernementale est un impératif politique : c’est collectivement que les membres du Gouvernement sont responsables devant l’Assemblée nationale ; quant à l’opinion publique, elle ne saurait admettre que le Gouvernement ne soit pas un.

En acceptant de faire partie de mon Gouvernement, vous vous êtes engagés sur cette solidarité pour toute la durée de vos fonctions.

Encore faut-il en tirer les conséquences pratiques, qu’il s’agisse de vos déclaratios publiques ou de l’organisation interne du travail gouvernemental.

À cet égard, je crois devoir attirer spécialement votre attention sur des règles dont l’observation paraît aller de soi, mais qui, l’expérience le montre, sont parfois méconnues sans que la pression des circonstances puisse toujours le rendre explicable ou acceptable.

a) Les propos publics tenus par un membre du Gouvernement ne devront être de nature à gêner aucun de ses collègues.

Ils ne devront comporter aucune espèce d’engagement sur les modalités, ni même sur le principe, de mesures dont l’intervention est encore à l’étude. Dans le même esprit, je vous invite à ne pas faire de déclaration publique sur les sujets inscrit à l’ordre du jour du conseil des ministres avant celui-ci.

S’agissant des mesures déjà prises, la solidarité gouvernementale appelle non seulement, cela va de soi, l’absence de toute manifestation publique de désaccord ou de réserve de la part d’un membre du Gouvernement, mais encore l’attribution au seul membre du Gouvernement dont la mesure relève directement de la responsabilité d’en exposer au public le sens et l’économie. Lorsqu’une mesure relève de plusieurs membres du Gouvernement, sa présentation devra faire l’objet d’une concertation préalable.

Dans tous les cas, je vous demande d’apporter aux questions inévitablement imprécises ou simplificatrices qui vous seront posées les réponses restituant au problème sa dimension réelle et de préférer à la facilité d’une répartie les exigences de la pédagogie. J’ajoute que les « effets d’annonce » se révèlent souvent être des annonces non suivies d’effets. Aussi doit-on toujours préférer le constat de l’action à l’annonce de l’intention.

b) La Constitution dispose que le premier ministre « dirige l’action du Gouvernement », lequel « détermine et conduit la politique de la nation ».

Il en résulte que, dans l’exercice de mes fonctions constitutionnelles, je serai amené non pas, comme le donne à penser une expression usitée mais impropre, à « rendre des arbitrages », mais bien à prendre des décisions.

Je souhaite cependant que mon intervention reste exceptionnelle et que vous exerciez la plénitude de vos responsabilités.

Je vous rappelle à cet égard que, pour qu’une affaire soit évoquée à Matignon, une au moins des deux conditions suivantes doit être remplie :

— Nécessité juridique de la saisine du premier ministre (par exemple lorsque la mesure à prendre revêt la forme d’une loi) ;

— Désaccord persistant entre deux membres du Gouvernement aux compétences desquels ressortit également la mesure. Je mets à dessein l’accent sur la persistance du désaccord : vous devez d’abord chercher effectivement à le résoudre, et non recourir à moi dès le premier obstacle rencontré. Mon cabinet y veillera.

c) Un formalisme minimal est nécessaire pour enregistrer de façon incontestable les accords obtenus et les décisions rendues dans le cadre des réunions et comités interministériels.

J’insiste tout particulièrement sur la nécessité de remettre à mon cabinet, ainsi qu’au secrétariat général du Gouvernement, préalablement à toute réunion, un dossier leur permettant de prendre une vue d’ensemble des objectifs poursuivis, des solutions envisageables et des diverses implications de ces dernières, ainsi que de l’objet et de la portée des désaccords éventuels.

À défaut de disposer d’une telle information, les membres de mon cabinet et le secrétariat général du Gouvernement pourront différer la date de la réunion.

Lorsque le projet aura des conséquences financières, celles-ci devront être exposées dans une fiche spéciale faisant ressortir le coût global de l’opération, les moyens déjà engagés, les modalités de financement et l’incidence sur le budget de l’année en cours, ainsi que sur ceux des deux années suivantes. Cette fiche devra être également adressée au ministre de l’économie, des finances et du budget qui la fera étudier par ses services et la retournera dans les plus brefs délais, accompagnée de ses observations, au secrétariat général du Gouvernement. Il appartient à mon cabinet de ne décider d’une réunion qu’en possession de l’avis formel du ministre chargé du budget.

d) L’histoire a bâti notre administration selon un axe vertical. Mais la majeure partie des problèmes à régler se pose de manière horizontale et appelle des concertations interministérielles et souvent la coopération de services relevant de plusieurs ministères. Aussi vous demanderai-je de veiller à éviter les querelles de bureaux ou de départements par une véritable collaboration à l’intérieur même de l’administration. Les batailles de territoire n’ont pas toujours un vainqueur administratif, mais elles trouvent toujours un vaincu en la personne de l’usager.


5. Respect de l’administration

Vous disposez, sur l’organisation des services relevant de votre autorité, d’un pouvoir de direction et d’organisation qui vous appartient en propre.

Je crois toutefois utile de rappeler quelques-unes des règles dans le respect desquelles ce pouvoir doit s’exercer.

a) Pour reprendre les termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (laquelle, comme vous le savez, a pleine valeur constitutionnelle), la désignaion des titulaires des emplois publics doit se faire « sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».

La prise en compte d’autres considérations, et en particulier le remplacement, contre la volonté des intéressés, d’agents loyaux et compétents, relève donc de ces « mauvaises mœurs » qu’à la suite du Président de la République, dans sa Lettre à tous les Français, je vous demande d’éliminer.

b) La vocation du cabinet ministériel, tel que la comprend une tradition administrative française trop souvent méconnue, est d’assurer une liaison entre le ministre, d’une part, ses services et les autres départements ministériels, d’autre part. Le cabinet ne doit en aucun cas « faire écran » entre le ministre et les services. Il est donc indispensable que vous établissiez des relations de collaboration suivies avec les directeurs de vos administrations centrales. Dans cet esprit, j’ai limité le nombre des membres de vos cabinets, poursuivant les efforts antérieurs dans ce sens.

c) Il est indispensable de faire de ce mode traditionnel d’exercice du pouvoir hiérarchique que constituent les circulaires ministérielles un usage plus réfléchi et plus modéré, de manière à en faire un véritable instrument de communication. Je vous demande à cet égard de vous conformer aux instructions contenues dans la circulaire de mon prédécesseur en date du 15 juin 1987[1].



La brièveté des délais que je me suis imposés pour élaborer les présentes instructions témoigne de l’importance que j’y attache. Je compte sur chacun d’entre vous pour en appliquer les termes et en respecter l’esprit.

Je vous remercie de l’attention personnelle que vous y porterez. Elle contribuera à notre efficacité collective et à l’accomplissement des missions qui sont les nôtres.

MICHEL ROCARD
  1. Note wikisource : Circulaire du 15 juin 1987 relative à l’organisation des administrations centrales et à la délégation de signature des ministres ; texte en ligne.