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connaître les expressions spontanées et rudes d’un cœur naïf, d’un esprit peut-être vulgaire, mais toujours vrai. Ce qui nous reste des chants bretons ne nous révèle-t-il pas un peuple tout entier avec son individualité profonde ? Et n’est-ce pas également vrai des habitants du Tyrol, de l’Écosse, de l’Irlande, de la Norvége, qui résument l’esprit national dans des ballades délicieuses ou sombres, des Castillans qui traduisent le leur en romances légères ou passionnées, de tous ceux enfin qui, par l’énergie de la race, par leur situation géographique, forment des groupes d’un caractère distinct, se transmettent de génération en génération un héritage successivement agrandi de poésies écloses au souffle d’une passion sincère, image indélébile, invariable, de l’unité et du fond ethniques ? Cette poésie populaire, fruit d’un sol vierge, en retient la rudesse, l’âpre saveur et en a toute l’originalité. Elle persiste longtemps à côté de la culture élégante des formes ; elle ne disparaît qu’avec le groupe qui l’a créée, car elle est le peuple même.

Les recueils de poésies populaires des différentes nations de l’Europe sont une révélation éclatante de ce que peuvent rendre les fibres du cœur humain en dehors des règles conventionnelles de l’art. S’ils n’ont pas fait connaître un nouvel Homère ou un autre Eschyle, ils nous en ont souvent donné en quelque sorte la menue monnaie. L’âme y fait retentir tout ce qui l’atteint ou l’ébranle en rhythmes vigoureux, en accents émus, en tendres mélodies, en rimes piquantes et naïves, en chansons plaintives ou narquoises.

Les provinces de la France ont fourni une ample récolte de poésies composées et chantées par le peuple. L’histoire de l’esprit français s’en est enrichi et chaque jour apporte encore une gerbe nouvelle. Quoiqu’il ne soit plus guère possible de tirer une autre moisson de ces terres jadis négligées, nous avons voulu tenter pour les Vosges, dans une très-faible mesure, ce que d’autres ont déjà fait pour leur province ou leur département. Je n’ai certes pas l’espoir d’ajouter une fleur exceptionnelle à la couronne poétique