Aller au contenu

Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assis ou debout dans les dépendances mêmes du tréteau où les acteurs s’évertuaient. Shakespeare, Corneille, Molière et Racine ont été, comme chacun sait, représentés dans ces conditions. Pendant deux cents ans, ce faux problème a occupé les esprits, défrayé les chroniques et les conversations, on s’est battu et débattu autour de cette difficulté — l’art dramatique en était menacé. Indigence ou indignité de cet art, pour les uns ; signe de décadence, pour les autres. En tout cas, aux yeux de tous, cette infirmité de nos scènes empêchait tout progrès véritable au théâtre. Enfin, le dix-huitième siècle vint ; un preux chevalier partit en croisade : le comte de Lauraguais. Louis-Félicité de Brancas, comte de Lauraguais, obtint, après maints assauts, de déloger les spectateurs, en rachetant pour une grosse somme ce privilège, car c’en était un que l’usage avait doucement établi. Les spectateurs quittèrent donc la scène, du moins la partie des coulisses où ils jouissaient à la fois de la présence des comédiennes et de la vue de la salle, dans une intime participation au spectacle. Ils se réfugièrent dans ces loges avancées — appelées depuis « avant-scènes » — que l’on voit encore dans certains théâtres, creusées de chaque côté de la scène dans le plancher du proscenium, ou nichées dans l’épaisseur même de son cadre. Cette situation, pleine de familiarité, resta l’apanage des protecteurs de l’art dramatique comme, de nos jours encore, elle est réservée aux intimes de la profession dans ce lieu géométrique où s’est blotti, lui aussi, le souffleur.