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Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/29

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seul problème, si l’on peut désigner ainsi ce qui sera toujours une énigme : le succès.

On peut évidemment parler de la question dramatique en partant d’un point de vue plus noble ou plus abstrait. Mais cette recherche du succès, cette obligation, cette contrainte dans l’art de plaire est ce qu’il y a de plus évident et de plus nécessaire à ceux qui pratiquent notre profession.

Le succès — avoir du succès — avoir un succès, vous ne savez pas, comme nous, ce que c’est. Vous le savez, il est vrai, par la curiosité naturellement déclenchée, ou contrainte par l’opinion générale qui vous mène à contempler le bureau de location assiégé, par l’astreinte d’aller payer ailleurs, et beaucoup plus cher, et sans profit pour nous, aux revendeurs de billets ou aux soi-disant agences de théâtre, les places désirées, par le strapontin mal placé, d’où l’on ne voit pas la scène, où vous serez mal assis, séparé de la personne chère à qui vous avez offert ce plaisir — ou même par le fauteuil très incommode de ce théâtre vétuste où se joue la pièce (dans la profession, nous disons : il y a pas de mauvais théâtre, il n’y a que de mauvaises pièces — ce qui démontre que le succès rend les clients insoucieux de leur confort).

Mais vous ne savez pas l’émotion chaude, le rayonnement intérieur qu’éprouve l’acteur, ou l’auteur, ou le directeur, à ce bruit caractéristique d’un sac de noix qu’on remue ou d’un panier de crabes en tumulte que fait le public, impatient et bavard, au delà du rideau,