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L'AVTEUR.

& attenué vn embonpoint de coton ou de feutre, & a la veuë d'vn chacun s'embellissent d’vne beauté fausse & empruntée : Ainsi font ces fcauanteaux & avortons des Mufes, estans stériles & defnuès de la connaissance solide des choses & n’en pouvans donner de vrayes, ils en substituent de fausses qu'ils parent d'apparence & d’vne gentillesse affectée : lls nous couurent les histoires de tant de sables & ombragent de tant de feintes lumières que l’accessoire emporte te principal fuject, en cela-ressemblans a ces Dames qui esteignent leurs beautez naturelles par l'esclat des artificielles, & fe chargent de tant d'affiquets quelles sont la moindre partie d'elles mesmes ; mais le mal eft que nous nous y laissons pipper. Nous auons beau fçauoir que ce rouge dont ils plastrent. leur face est verni d'Espagne ; Que ces cheueux dont elles parent leur chef est de quelque page ou laquais, nos yeux ne se laissent pas moins deceuoir par ces charmes, nostre fantaisie & volonté les fuiuans en cette vaine illusion : Il en va comme des Ioueurs de passe-passe dont la soupplesse & subtilité combat & force nos fens, bien que nous connoissions que ce bastelage soit pure tromperie ; ressemblans ainsi à ceux qui pleurent de compassion regardans les Tragédies, bien qu'ils fçachent que l’argument en soit fabuleux & ne leur touche en rien. Mous sommes tres-ingénieux à nous deceuoir nous mesmes, c'est le premier traict de nostre vanité. Nous n’apperceuons les grâces que poinctuës, bouffies & enflées d'artifice ; celles qui coulent foubs la naifueté & la simplicité, eschappent aifement a nostre veuë grossière : Nous ne fçaurions choifir l’excellence, la richesse, & la valeur de quelque chose, si elles ne font releuées par la monstre & la parade ; & comme si nostre veuë & nostre esprit auoient mefmes bornes, ce qui est hors de la portée de l'vn ne peut gaigner l’eftime de l'autre : De la est auffi que nous aimons mieux vne vérité fardée d’eftranges & fpecieuses paroles, & defguifée fous les noms d'antique & pompeuse vogue. Considèrez cens gens là, ils nous. enchantent les sens & attirent comme en despit de noous par le grand esclat de leurs magnifiques descriptions, & rauissent les ignorans par l’admiration de leurs prodiges. Ils ne font monter fur leurs theatres que des Princes, Roys, Empereurs, qu'ils accompagnent. de tant de magnificences & grandeurs,

AV LECTEUR

Qu’elles offusquent la splendeur des Salomons, des Auguftes, des Constantins, les Fables Payennes n’ont rien attribue de si haut & releué à leurs Dieux. S'ils nous déscriuent leurs Palais, ils les ornent des choses plus précieuses de la Nature, & plus exquisement polies par l'art ; tout y est brillant d'or & de pierreries iufques'aux fondemens, les Temples d'Ephese & de Salomon ne font point fi somptueux ny fi superbes en leur structure & richesses : Leur ordinaires iardins font ceux des Hefperides où les arbres font chargées de fruicts d'or ; leurs champs font les Elysiens, feiour où les plaisirs efgalent les fouhaits ; leurs prairies font celles de ce feint Paradis que l'Alcoran nous dépeint ? où toutes fortes de délices & voluptez font en referue. S'ils parlent des exploicts militaires de leurs Héros, ils en font autant de Césars, d'Alexandres, & de Rolands Furieux, voire des Titans & Echelleurs du ciel : Auec des Pégases & cheuaux fées, ils les font comme en volant trauerfer les mers & parcourir auec vne vitesse incroyable les contrées les plus esloignées, voire qui font imaginaires, dont ils leur font faire des conquestes auec des moyens & fuccez fi prodigieux, qu'il n'y a imagination tant forte soit elle qui n'en soit renuerfée. Comme d'autres Samsons, ils leurs font tuer des mille hommes a la fois auec vne mâchoire d'asne ; comme. de nouueaux Hercules, les rendent vainqueurs de tous les Tyrans & monftres de la terre. A chaque bout de champ il y a des rencontres & batailles données ; ce ne font que prises de villes & chasteaux forcez a milliers, dont les combats & les trophées surpassent toute créance humaine. Là quelque Bergerot ou chétif Myrmidon de nostre Loy aura fendu en deux de pied en cap plusieurs Goliaths & autres Géants armez de toutes pièces : Ailleurs, quelqu’vn comme vn nouueau Gedeon auec trois cents hommes feulement en extermina fix vingts mille par des bouteilles remplies des flambeaux. Bref s'il y a quelque chofe de prodigieux & d'estrauagant, que la plus déréglée fantaifie puisse conceuoir, ces Charlatans l’estalent à la lumière du monde, afin, de creuer les yeux à la sagesse humaine par cette folie. Ainsi employans la fécondité de leurs esprits à des contes fabuleux & autres histoires inutiles & pernìcieuses, ils s’éuentrent comme araignes à tistre des filets aux mouches, & oeuures de vanité, quittans mille

e iy

AV LECTEVR.

beaux & veritables fujets, fur lesquels ils pourroient avec loüange faire valoir la jointe de leur ftile. La fcience vraye & folide eft affez fertile de foy, & capable de remplir l'efprit le plus grand de l'homme fans mendier ailleurs auec tant de temps & trauail des chojes vaines & friuoles, pour s’en furcharger. Sur l’offre que faisoit le Grand Alexandre à Diogène de fes riches presens, ce philofophe le pria feulement de ne luy ofter point fon ombre qu'il ne luy pouvoit donner : Ce que ie dirois plus volontiers à ceux-cy de cet autre ouvrage du Soleil, fçauoirdu temps, requérant d’eux qu'ils ne le nous fiffent point perdre, veu qu'eftant une fois perdu, il ne fe peutplus recouvrer.

Mais si ceux dont ie viens de parler nous gaftent les chojes, en voicy d’autres appelez vulgairement PedansJesquelsfontla treizefme efpece (ny comprenant ceux qui enfèignent avecart ^honneur) qui les de^ Jîruifent encoreplus licencieufementparle mefpris qttils enfont^ne s’arrcflans quaux mots (^ a njn hahilaffaitté^ ^flux excejjifde langage ^ fansfoliditê ^fans iugement, Carpourueu quils eflourdijfent les oreiU les c3r chargent la mémoire de leurs disciples d’^une grande ajfuece de discours boufis de mots efranges & inutils i ils crojent par la d’eflre do~ clés ou de paroi^re tels :, afin d’allecher les efprits tendres de la ieuneffi qpiils manient imperieufimety à Icsfuiurc : depuis que les uns çjT* les autres ontpris cettefauffe imprejftondescauoir^ leur ejprit s’endortdans cet afioupisiemcntffibien qu ils cultiuent déplus en plus ces mauvaisis plates de vain ^inutil apprentiffage quils deuroiêt arracher & dont les racines enfin s’cflëdent fi loin qu'il ne refte plus de place pour les hon^ nés fimences. Mais cependant dt la ilarriue ungrand malj car cette methode corrompue d’enjeigner a tellement ruiné les bonnes Lettres^que les mots ayans pris la place des choses dans l’esirit, l’on ne remarque déformais en la plufpart des gens infruits de leur facon quun (cauoir confus Cjît inutilej oupluflot une ombre desiauoiry qui nagesiulement en la fuperfide de leur ceruelle fans avoir aucune racine (telle que doit avoir une vrayc connoisiance) dans le coeur c3r dans ^intelligence du iugement. La, science estant une chose de grand poidsy ils fondent deffous ; Et comme pour employer cette riche & puiffante matière, il y faut une nature forte

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