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VISIONS DE L’INDE

est accumulé en tas de bûches, non seulement là, mais un peu partout, car à ces holocaustes s’associe la fonction divine du fleuve. Un de ces morts bienheureux qui ont convoité la crémation auprès du sanctuaire de Shiva, en face du Gange, choque notre carène. Enveloppé d’un linge blanc, il est pareil à une momie immobile à jamais. Seulement, tout à l’heure, quand nous reviendrons, la momie ne sera plus que de la cendre, car l’Indou n’a pas, comme l’ancien Égyptien, la superstition du corps ; il en a plutôt le dédain, l’oubli. Ce peuple étrangement idéaliste, n’est pas attaché à ce qui lui semble le vêtement passager de l’âme éternelle et il croit meilleur d’être réuni, le plus tôt possible, à l’infini… Aussi, ce spectacle de bûchers est-il émouvant entre tous, quand on connaît les croyances de ces enfants vieillis. Hautes idées philosophiques, barbarie pittoresque. L’épaisse fumée, les flammes rouges qui lancent dans l’atmosphère une pluie d’or, les chants des prêtres qui doivent accompagner l’âme dans son voyage vers l’au-delà ; l’immense foule accroupie : femmes, hommes, enfants » regardant avec calme, avec piété, dans leurs loques splendides, avec des attitudes de statues, sans vaines simagrées, s’évanouir dans le feu le parent ou l’ami ; dans toute cette réalité moderne, je reconnais la mise en actes de la vieille philosophie