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LE MARQUIS DE SADE

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Voilà un nom que tout le monde sait et que personne ne prononce, la main tremble en l’écrivant, et quand on le prononce, les oreilles vous tintent d’un son lugubre. Entrons si vous l’osez dans cette mare de sang et de vices. Il faut un grand courage pour aborder cette biographie, qui pourtant prendra sa place parmi les plus souillées et les plus fangeuses. Prenons donc notre courage à deux mains, vous et moi. Nous accomplirons ensemble cette œuvre de justice : nous allons poser une lampe salutaire au bord de ce précipice infect, afin qu’à l’avenir nul imprudent n’y tombe. Nous allons regarder de près cet étrange phénomène, un homme intelligent qui se traîne à deux genoux dans des rêveries que n’inventerait pas un sauvage ivre de sang humain et d’eau-forte ; et cela pendant soixante-dix ans qu’il a vécu, et cela dans toutes les positions de la vie, enfant, jeune homme, grand seigneur ; dans sa patrie et à l’étranger, en liberté et en prison ; parmi les hommes raisonnables et parmi les fous ; pervertissant les uns et les autres, plongeant dans la même infamie la prison, le salon, le théâtre, le toit domestique et l’hôpital. Partout où paraît cet homme, vous sentez une odeur de soufre, comme s’il avait traversé à la nage les lacs de Sodome. Cet homme est arrivé pour clore indignement le dix-huitième siècle, dont il a été la charge horrible et licencieuse. Il a fait peur aux bourreaux de 93, qui ont détourné de cette tête la hache sous laquelle ont péri tous les anciens amis de Louis XV, qui n’étaient pas morts dans l’orgie. Il a été la joie du Directoire et des Directeurs, ces rois d’un jour, qui jouaient au vice royal, comme si le vice n’était pas, de son essence, une aristocratie aussi difficile à aborder que toutes les autres ; il a été l’effroi de