écouta ses tendres paroles sans colère ; et lui, il récitait à Laure ses beaux vers qu’attendait le monde. Ainsi ils vécurent, lui voyageur, elle dans sa maison : présente, il l’aimait ; il la chantait absente. Elle cependant, retirée dans ses foyers, élevait sa nombreuse famille, et vieillissait dans l’exercice de toutes les vertus domestiques. Mais quelle fut la surprise et quelle fut la douleur du poète quand il vit Laure pour la dernière fois ! Elle était au milieu d’un cercle de dames, sérieuse et pensive, sans parure, sans guirlande, sans perles. Déjà la maladie dont elle mourut avait étendu sa paleur sur ses belles joues. Laure, a l’aspect de son amant, lui jeta un regard si honnête et si calme, qu’il se prit à verser des larmes. Une horrible peste, venue d’Asie en Sicile, se répand dans toute l’Europe ; elle frappa des premières la belle Laure. Aux premières atteintes du mal. Laure sentit qu’elle était perdue ; elle se prépara tranquillement à la mort, elle fit son testament et reçut les sacremens de l’Église. Sa famille, ses enfants, ses amis, bravant la contagion, pleuraient en silence autour de son lit. Elle, toujours résignée, l’air calme et serein, rendit a Dieu son âme innocente et pure. Toute la ville la pleura comme on pleure une honnête mère de famille qui est morte en accomplissant ses devoirs. Elle fut enterrée dans l’église des frères cordelier, dans la chapelle de la Croix, sépulture de la famille de Sade, Pétrarque était alors à Vérone, et il apprit la mort de cet ange dans ses rêves. Alors ses chants d’amour recommencèrent de plus belle. On croyait cette passion épuisée, et avec cette passion la poésie épuisée dans le cœur de Pétrarque ; mais lui, fidèle amant et poète fidèle, recommence à aimer, à chanter de plus belle. C’est surtout lorsque Laure est morte que Pétrarque fait ses plus beaux vers, témoin le beau sonnet qui commence par ces mots : Ah qu’il
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