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légers ; de là il passa comme sous-lieutenant au régiment du roi, puis il fut lieutenant dans les carabiniers, et enfin capitaine dans un régiment de cavalerie. Il fit la guerre de sept ans en Allemagne. De retour à Paris, on lui fit épouser Mlle  de Montreuil, fille d’un président à la cour des aides, pauvre jeune fille, douce, aimable, jolie, vertueuse, timide, qui croyait n’épouser qu’un officier de cavalerie, et qui épousait le marquis de Sade !

On ne peut comparer aucune époque de notre histoire à la fin du dix-huitième siècle, cette solennelle époque d’esprit, menée si grand train à sa perte par Voltaire, son souverain maître et son grand pontife. Je ne crois pas qu’il y ait eu à aucune époque autant d’esprit et autant d’insouciance pour l’avenir. C’est une époque toute brûlée par l’amour et par le luxe, où chacun joue sur un dé ce qui lui reste, celui-ci son grand nom, celui-là sa grande fortune, cette autre sa jeunesse et sa beauté ; ou le roi joue son trône, où le prêtre joue son Dieu ! Et quels étaient les enjeux de ce hasard horrible ? Un moment d’ivresse, les palpitations d’un quart d’heure, quelques applaudissements ironiques venus de Ferney, voila tout ! Vous prêtez l’oreille au bruit que fait ce siècle, et vous reconnaissez toutes les joies mêlées à toutes les douleurs ; enfantemens, suicides, joies et désespoir, morts funestes, amours sans fin, tout un pêle-mêle à rendre l’éternité attentive, si l’éternité pouvait entendre. Quel mouvement, quel chaos, quel bruit ! Puis enfin quel silence quand le trône est écroulé, et qu’on n’entend plus sur la place de la Révolution que le bruit du couteau qui se détache de l’échafaud !

Ainsi étaient faits les vieillards en ce temps-là, ainsi était faite la jeunesse. Personne parmi eux, jeunes gens ; ou vieillards, ne prenait rien au sérieux ; on leur aurait dit que