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Sade. Et, comme c’est là un de ces livres que la loi ne reconnaît pas comme une propriété particulière, il arrive toujours que les clercs des gens d’affaires, ou leur patron, s’en emparent les premiers, et les rendent ainsi a la consommation du public. Ainsi, il est convenu que vous avez lu ce livre, vous tous les oisifs qui savez lire, vous les innocens effrontés de la table d’hôte ou de l’estaminet, vous les séducteurs de la Grande Chaumière ou de Tivoli, vous les Lovelaces du foyer de l’Opéra ou du Café de Paris, vous si simples, si bons, si doux, si timides au fond de l’âme, malgré tous vos efforts pour vous faire méchans et cruels, vous dont la première grisette vient à bout, allons donc, voilà qui est bien convenu : vous êtes sur ce triste sujet plus savans que je ne saurais être. Ici donc j’arrête mon embarrassante et inutile analyse, et je poursuis tout simplement cet essai littéraire sur un homme dont le nom fameux a empêché de dormir bien des imaginations naissantes, et corrompu bien des cœurs naïfs.

Je vous comprends encore ; vous me tenez quitte de toute analyse, il est vrai, mais vous persistez à savoir comment, moi, j’ai lu ce livre, moi qui n’ai pas, comme vous, pour ma justification l’oisiveté et le doux far niente des quatre saisons de l’année. Mon Dieu ! c’est une triste histoire de ma première jeunesse, et qui s’est passée dans un chaste pays de montagnes, et que je vais vous raconter telle qu’elle est, sans détour et sans y rien changer.

Nous sortions à peine du collège, belle époque d’ignorance présomptueuse et de pressentimens éblouissans ; la vie s’ouvre alors belle, et parée, et heureuse ! C’est là un premier, un solennel moment de liberté qu’on ne retrouve jamais dans sa vie. Joyeux et libres, nous étions partis, un de mes amis, un de mes compatriotes et puis moi, pour re-