nouveau nés qu’on y avait jetés dans la nuit. Passait-il sur la route quelque jeune fille, dans une rapide caliche, le pauvre Julien appelait : Au secours ! car à coup sur la jeune fille était enlevée à ses parens pour être jetée dans quelqu’un de ces repaires de vices et de violences qu’il voyait partout et à chaque pas depuis son atroce lecture. Depuis ces deux nuits, Julien avait perdu toute idée d’une société qui se défend elle-même, toute idée d’une loi morale qui ne peut pas mourir, toute idée d’une loi politique, maintenue par le concours de tous les citoyens. Il était tombé, le cœur le premier, dans l’abimc du marquis de Sade : en un mot, tant de terreurs incroyables l’avaient poussé dans l’épilepsie, ce triste rêve de bave et de folie, qui prend un homme au coin de la borne, sur le grand chemin, dans les bras de sa mère ; Julien etait un jeune homme perdu à jamais.
Je ne tenterai pas de vous raconter dans tous ses détails cette cruelle histoire. À l’heure qu’il est, cet enfant bien né et bien élevé, et de nobles penchans, il est plus que fou : il est idiot ; sa vie est une peur sans fin et sans cesse ; il ne voit partout que trappes ouvertes, instruments de tortures, bourreaux, supplices, poisons. Voici douze ans qu’il est ainsi, Sa mère en est morte de chagrin, son oncle a mieux fait que de ne pas mourir : il a vécu pour son neveu ; à présent encore, lorsqu’il veut lui parler, il est obligé de quitter sa robe de prêtre. Le crucifix lui-même a disparu de la maison : le crucifix faisait peur à Julien.
Ce ne fut qu’un mois après ce funeste et inexplicable événement que le malheureux curé en découvrit la cause. La servante, en faisant le lit de Julien, trouva un volume du marquis de Sade, que Julien y avait caché. Elle porta ce livre a son maître ; le digne homme y jeta les yeux ; et à peine en eut-il parcouru quelques lignes qu’il sentit que