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abominables ; d’abord le public n’y crut pas, ni même sa femme, ni même la justice de ce temps-là, cependant, par mesure de simple police, on l’envoya en exil. En exil, il perfectionna sa science, il ajouta à sa théorie, il se livra à mille imaginations plus perverses les unes que les autres en un mot il se compléta dans tous les mauvais lieux et dans tous les mauvais livres de l’Europe. C’était un homme qui étudiait le vice par principes, passant du connu l’inconnu, se proposant des problèmes étranges en allant du plus facile au plus difficile. Avec la moitie moins de peine qu’il ne s’en est donné pour être l’imagination la plus corrompue de la terre, le marquis de Sade serait devenu aussi grand calculateur que Monge, aussi grand naturaliste que Cuvier.

Ce serait une erreur de croire que cet homme-là fut le seul qui se soit livré à cette exécrable étude du vice par le meurtre ; l’antiquité en fournit plusieurs exemples ; Néron se sert, pour éclairer ses orgies nocturnes, de chrétiens qu’il brûlait vifs, flambeaux de chair humaine qui poussaient de délicieux hurlemens. On se rappelle, sous le règne de Charles VII, les débordemens de ce fameux maréchal de Retz : qui, après s’être battu avec gloire et courage, se fit une infâme célébrité à force de vices monstrueux ; celui-là immolait des enfants dont il arrachait les entrailles et le cœur pour en faire offrande aux esprits infernaux, et s’étaient les enfants les plus beaux et les plus choisis, et même choisis dans sa famille : et pendant quatorze ans, le maréchal de Retz ensanglanta ses châteaux de Machewal, de Chantocé, de Tiffurges, son hôtel de la Saxe à Nantes, et tous les lieux où sa passion le portait.

Eh bien ! ce scélérat est moins coupable, à mon sens, que le marquis de Sade. Le maréchal de Retz n’a tué que les enfants qu’il avait sous la main ; lui mort, tous ses crimes