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de septembriseurs, de guerres civiles, de rois menés à l’échafaud, d’un enfant royal abandonné à des mains mercenaires, le marquis de Sade regretta dans son âme les faiblesses, l’éclat, l’incurie, l’esprit, et même la Bastille de l’ancienne royauté.

Ce ne fut que sous le directoire, pendant cette halte d’un jour dans la boue de la royauté expirée, que le marquis de Sade se sentit à l’aise quelque peu. Depuis longtemps il menait une vie misérable. Faisant de mauvaises comédies pour vivre, y jouant souvent son rôle pour quelques louis, empruntant ça et là quelques petit écus pour ses maîtresses, et toujours ajoutant de nouvelles infamies à ses livres encore inédits. Lors donc qu’il eut bien vu toute la corruption du directoire, et toute la bassesse de ce pouvoir sans valeur et sans vertu, le marquis de Sade s’enhardit à publier ses deux chefs-d’œuvre. Restait seulement à trouver des éditeurs. Trois hommes se rencontrèrent qui se chargèrent de cette publication. Ils prirent d’abord connaissance du manuscrit, ils en regardèrent les gravures, et ils jugèrent que l’affaire était bonne sous Barras. Deux de ces hommes étaient libraires, le troisième, le plus coupable des trois, était un riche capitaliste. Le livre fut imprime avec l’argent de ce dernier dont nous tairons le nom ; il fut inscrit sur le catalogue de ces deux libraires, il fut imprimé avec tout le luxe typographique de cette époque. Bien plus, l’auteur et les deux libraires eurent la touchante attention d’en faire tirer cinq exemplaires à part, sur beau papier vélin, pour chacun des cinq directeurs. Oui, on osa envoyer ces dix volumes aux hommes chargés du gouvernement de la France ; et ces hommes, au lieu de prendre cette démarche pour la plus amère ironie, et de s’en venger comme d’une sanglante insulte, firent remercier et complimenter l’auteur. Sous un