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l’histoire des plus hideuses maladies de l’âme ; celle-ci est la conséquence de la première ; chacune, à différens degrés, offre la satire des préjugés, des règles, des lois de la nature civilisée. C’est la passion qui a commencé la chute morale du marquis de Sade ; ce sont l’orgueil et le désespoir qui ont achevé de le précipiter dans un abîme infect où il eût voulu entraîner ses contemporains, de même que Satan peuplant l’enfer où la main de Dieu l’a plongé.

Mais il y a trop de preuves écrites de l’exécrable doctrine que prêchait au milieu des fous de Charenton le marquis de Sade en cheveux blancs, pour que j’élève la voix contre les fautes trop réelles de l’organisation sociale qui a fait d’un homme spirituel et distingué le plus insensé et le plus dangereux des criminels. Non, en présence de l’effrayante contagion que ces livres empestés répandent journellement parmi la jeunesse, je ne me sens pas le courage d’entreprendre une justification en faveur de l’écrivain qui forma l’absurde projet de pervertir l’espèce humaine, et consacra ses plus nobles facultés à l’exécution de ce qu’il regardait comme des représailles.

J’ai souvent interrogé des personnes respectables, dont quelques-unes vivent encore, plus qu’octogénaires ; je leur ai demandé, avec une indiscrète curiosité d’étranges révélations sur le marquis de Sade, et je n’ai pas été peu étonné que ces personnes, que leur moralité, leur position et leurs honorables antécédens mettent à l’abri de toute espèce de honteux soupçons, n’éprouvassent aucune répugnance à se souvenir de l’auteur de Justine et à en parler comme d’un aimable mauvais sujet. Il est vrai que ces derniers témoins du siècle passé avaient cessé de connaître le marquis de Sade depuis la déplorable scène qui eut lieu à Marseille, en juin 1772, et qui le fit condamner à mort par contumace, le 11