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LES ÉCUMEURS DE GUERRE

d’invention pour ne pas mourir. Qu’on excuse ces pages : c’est un peu de la vie de Paris en temps de guerre que nous allons décrire, de la vie qu’on ignore, et que nous avons observée de très près…

Et d’abord le décor :

Une chambre avec un cabinet noir, qui était la cuisine, plus semblable à un placard, et où quelqu’un de corpulent n’eût pu se tenir à l’aise. Un réchaud. Des casseroles.

Un lit, deux chaises, une table au milieu, une armoire, le tout en bois blanc. Dans la cheminée, un petit poêle. Sur la cheminée, une pendule de bronze doré représentant une bergère Watteau donnant, dans un geste de grâce mignarde, à manger à une chèvre dressée contre elle, pendule qui était la richesse de Noémie, pendule fétiche, qui datait de son mariage, et dont aucune misère n’avait pu la séparer.

Jadis il y avait eu d’autres meubles et même des bibelots, et des vases brillants, rutilants, gagnés au tourniquet dans les boutiques foraines, mais tout cela, peu à peu, avait pris le chemin des brocanteurs, tout cela avait été vendu ; le nécessaire seul restait. Une fenêtre prenait sa clarté sur une cour étroite, en bas de laquelle on entendait, du matin au soir, un matelassier, ses baguettes aux mains, battre ses matelas. Et cette chambre de misère honnête était d’une propreté méticuleuse, ratissée, frottée, sans une tache, aussi propre et aussi nette que la bonne femme qui l’habitait. Noémie avait été heureuse au temps où son mari était contremaître à la Raffinerie de la Route de la Révolte. Puis, l’homme fut malade, paralysé pendant vingt ans. Ce furent des soins constants. Elle travailla chez elle à des soutaches et gagna péniblement sa vie et celle du malade. Quand il mourut, elle était endettée. Depuis longtemps, elle avait quitté le coquet logement de Levallois pour l’avenue de Saint-Ouen. Et ce fut là que la vieillesse vint la surprendre,