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LES ÉCUMEURS DE GUERRE

comme elle fait à Rolande, c’est à toi qu’elle se dévoue, mon fils.

— Pauvre chère petite ! murmura Simon attendri.

— Si tu la rencontres jamais dans la vie… et si la bonté de Dieu vous préserve du malheur tous les deux, tu te souviendras de ce que t’a dit ton bonhomme de père… tu la salueras bien bas… et comme un dévouement en vaut un autre, si elle a jamais besoin d’un ami vaillant et sûr… d’un bras fort… tu lui viendras en aide… Ainsi, tu payeras ta dette…

Ils avaient marché en causant, bousculés par la cohue qui emplissait les rues de la petite ville, soldats, paysans, fuyards, charrettes, brouettes, troupeaux, des vaches, des moutons, des chevaux de labour qui n’avaient pas été réquisitionnés, indescriptible mêlée d’où pas un cri ne partait comme si la stupeur de la catastrophe avait atrophié tous les cerveaux et les avait rendus incapables d’une plainte, d’une révolte, d’un déchirement.

Deux paysans les suivaient depuis quelques instants, sur la place de la Halle, près de l’Église.

Ils tenaient deux vaches par une corde enroulée autour des cornes.

Sur le dos ils portaient un ballot énorme de linge et de hardes.

Jean-Louis, apitoyé, leur demanda :

— Vous venez de loin ?

— Des Flandres… dit l’un… et c’est tout ce que nous avons sauvé…

— Oh ! vous pouvez vous reposer maintenant… Les Allemands ne dépasseront pas Rethel…

Une flamme courut dans les yeux des deux hommes, mais les yeux se baissèrent.

Et celui qui avait parlé avec un rude accent qui raclait des mots hésitants :

— Oh ! monsieur, ils sont terribles, ils massacrent et brûlent tout…