Aller au contenu

Page:Jules Słowacki, 1927.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

allant de l’avant est inscrite pourtant dans les livres de la Vie.

Qu’elle est prévenante Ta bonté, mon Dieu, de m’avoir conservé sous les couches lointaines respectées par les déluges, sous la couche des forêts transformées en charbon par le feu, cet essai premier de l’Âme dans sa conquête de la terre, ce premier ajustage d’un anneau nerveux, sa triple dotation d’un cœur, qui chez l’homme seulement s’ensanglanta, mais qui pour la première fois souffrit pour les autres dans Ton fils le Christ. Bénis soient Ceux qui, sans l’aide de Ton âme, ô mon Dieu, suscitèrent cette nature étrange des créatures primaires, l’éclairèrent des lampes de la raison – et considérèrent-ils ces cadavres sans savoir qu’ils évoquaient leur propre existence. Cette lampe, laissée par eux dans ces souterrains ténébreux, m’éclaira lorsque je m’y engageai. J’y trouvai déposés, des ossements, et tout y était presque dans l’ordre de la vie hors Ton Âme, ô Seigneur, dont seul Tu peux conter l’histoire, car aujourd’hui encore tu ressens les douleurs éprouvées au fond des temps passés. Toi seul peux savoir combien souffrirent ceux dont il ne reste que ces ossements.

Ainsi, ô mon Dieu, l’Âme te fit l’offrande de son organisme, et de ce qui lui restait de force immortelle elle conquit la terre et conserva une étincelle de vie dans les formes végétales. Sa grandeur se montra dans les bruyères, sa colère et sa résistance à la nature dans les durs chardons épineux, qui de forêts immenses recouvrirent la terre. Parmi Tes étoiles, cette terre bruissante courait sombre, échevelée ; les brouillards et les brumes comme des haillons de crêpe funéraire s’accrochaient sur les cimes de ces premiers criminels de la nature. J’ose à peine regarder dans ces bois. Là, dressée avec arrogance contre l’ouragan, la branche battait l’air avec un bruit de tonnerre, et quand sous la poussée du germe la semence de bruyères éclatait, ou eût dit que se répercutait la voix de cent foudres à la fois. Une vapeur telle montait du fond des terres, avec tant de puissance, que les rocs arrachés des montagnes de basalte, projetés dans les airs, s’écrasaient en tombant, transformés en sable et en poussière. Dans les nuages, les brumes et les ténèbres, je vois cet œuvre immense de l’âme, ce royaume du maître des forêts où l’âme travailla plus pour son corps que pour sa propre spiritualité d’ange. Tout ce qui devait, après sa mort, devenir sa provende, ces feuilles pourries, ces troncs d’arbres carbonisés, fut le produit suprême de son œuvre, car, l’âme elle-même s’élevant déjà au-dessus de sa forme, attendait de la pitié divine l’incendie et le déluge.

Alors, sur ces formes mortes de la première création, sur les corps pétrifiés des monstres marins, une colonne de feu s’éleva, deuxième dévastateur, Encelade luttant avec la Vie... De son faîte couronné de nuages ruissela le déluge tandis que sa base incandescente desséchait le lit des mers, et, pendant des siècles embrasée, cette terre brûla, éclairant le Seigneur sur les hauteurs, dans les pourpres de l’incendie, elle qui un jour, dans bien des siècles, rayonnante et éprouvée par l’Esprit d’Amour, s’illuminera dans la clarté des douze