Aller au contenu

Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que Platon modifie l’interprétation du culte grec, mais ne le rejette pas. Dans un passage où il distingue trois sortes d’impies[1] il met au premier rang, comme les plus coupables, « ceux qui feignent une religion qu’ils n’ont pas. » Puisqu’il créait des hommes tout exprès pour sa république, rien ne lui était plus facile que de créer aussi une religion, s’il n’avait pas admis, à sa manière, il est vrai, et avec tous les retranchements et toutes les interprétations nécessaires, la religion de ses ancêtres. On n’observe pas les convenances scéniques avant que la pièce soit commencée, et quand on en est encore à construire le théâtre.

Quelques historiens ont prétendu que Platon, incrédule au fond, affectait de parler comme le vulgaire pour éviter le sort de Socrate. C’est injurier Platon, c’est mal connaître la nature de la religion grecque. Il n’y a qu’à lire les dialogues pour y sentir partout l’accent de la sincérité. Si Platon ne croyait pas, que n’imitait-il le silence d’Aristote, qui n’a parlé des dieux qu’une ou deux fois, et seulement en quelques mots ? Il y a au moins de la dignité dans ce silence. Était-ce de la part d’Aristote dédain ou habileté ? L’habileté serait médiocre. On ne manquait pas de prétexte pour condamner Platon malgré sa croyance, ou Aristote malgré son silence. Il suffit d’avoir nié une fois. Ou plutôt ce n’est pas la négation, c’est l’interprétation, le symbolisme, qui fait le péril. Tous les prêtres ressemblent à ce Louis XIV qui préférait un athée à un hérétique, parce qu’ils sentent par instinct qu’une doctrine ne peut être vaincue que par une doctrine. Socrate fut condamné pour avoir nié les dieux de la république, et mis en leur place des extravagances démoniaques : le second crime était le plus grand. Aristote faillit avoir le même sort,

  1. Lois, liv. X, trad. fr., t. VIII, p. 275. Les impies dont il parle dans le passage cité ne sont condamnés ni pour leur incrédulité ni pour leur hypocrisie, mais pour avoir enseigné de fausses doctrines sans y croire, et pour avoir poussé à des pratiques superstitieuses.