Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/400

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nos adversaires de faire ces distinctions équitables, et de constater ainsi la force que la raison a en elle-même, et la faiblesse qui lui vient du mauvais usage de nos autres facultés, et du milieu dans lequel nous vivons. Ils aiment mieux déclamer sur sa force, pour nous endormir sur nos périls, ou sur sa faiblesse, pour nous dégoûter de son exercice. Aussi perfides dans leurs apologies que dans leur scepticisme, ils s’inquiètent peu d’une contradiction pourvu que leur ennemi soit harcelé.

Mais suivons-les dans ce nouveau rôle ; et comme nous avons montré par quelles influences la raison pouvait être détournée de sa voie, montrons aussi qu’elle est puissante et solide par elle-même, et qu’après tout, forte ou faible, elle est le juge en dernier ressort, le juge nécessaire des doctrines mêmes sous le joug desquelles on veut la courber.

À en croire les ennemis de la raison, nous demandons la liberté de penser, et, si nous l’avions, nous la laisserions périr dans nos mains. Nous nous croyons capables de trouver une doctrine, quand nous n’avons tout juste que ce qu’il faut d’intelligence pour comprendre la doctrine que nos maîtres veulent bien nous apprendre.

Nous connaissons de vieille date les arguments qu’on apporte pour soutenir cette étrange thèse de l’imbécillité humaine. C’est par eux que les sophistes de la Grèce ont voulu triompher de la raison et du bon sens de Socrate. Tout cet étalage de scepticisme peut être réduit à un seul mot, que voici : « Puisque l’humanité se trompe souvent, il est juste et raisonnable d’en conclure qu’elle se trompe toujours. — Il y a, contre la vérité, un argument invincible : c’est l’erreur. » Malheureusement pour les sophistes de la Grèce et pour les nôtres, c’est un raisonnement qui ne convaincra jamais personne. Il est naturel de croire ; il est contre nature de douter ; il est ridicule de fonder sur un raisonnement la négation de toute raison.